Le Solitaire, Michael Mann, 1981

Faites pas chier James Caan

Une des barrières qui m'empêchent habituellement de vénérer Michael Mann comme certains de mes amis (coucou), c'est le regard qu'il porte sur une virilité exacerbée, caricaturale (Gillette, la perfection au masculiiiin), qu'il ne m'avait jamais semblé jusqu'alors mettre en doute ou s'en amuser.

Et puis paf! J'ai vu son premier film l'autre jour au cinéma, qui devient immédiatement un de mes préférés. Le personnage principal, mâle alpha incarné par un opportun James Caan, est une sorte de cliché de mâle bourrin, qui s'exprime le plus souvent par gestes (brusques) et la colère. Le début du film donne lieu à des scènes très drôles (et voulues comme telles, précisons-le), dans lesquelles ce héros bigger than life se révèle parfois touchant dans sa totale incapacité à communiquer avec son entourage, sa manière de se déplacer, de commander à boire par le geste, etc...

On commence donc par se moquer gentiment de ce type, comme on le ferait d'un personnage sorti des Affranchis ou de la série Les Sopranos. Mais à l'intérieur d'une longue et étonnante scène centrale, le point de vue bascule. Mann s'autorise une longue scène de tête à tête entre notre thief et sa petite amie, un rencart forcé, précisons-le, notre homme ayant littéralement attrapé la jeune fille et l'ayant jetée sur le siège passager de sa bagnole.


Au cours de cette scène, le ton est d'abord comique et on s'amuse de ce personnage dénué de finesse. Mais au fur et à mesure qu'il se livre, le spectateur se retrouve, comme la jeune fille qui l'accompagne, forcé de changer de point de vue. Le personnage se révèle touchant justement par son absence totale de retenue, sa franchise quasiment naïve. Lorsque la scène se termine, nous sommes de son côté, nous vivrons les problèmes qui l'attendent de manière d'autant plus intense.

Ce film est vraiment une très bonne surprise, il contient évidemment les qualités habituelles de Mann, c'est à dire une grande maîtrise de l'espace (la fusillade finale), et de belles envolées plastiques. Mais c'est surtout l'humour qui m'a aidé à y entrer, à m'y sentir bien. L'écriture m'a énormément surpris aussi, c'est peut-être le meilleur scénario de Mann, avec quelques belles envolées, comme un monologue génial de bad guy (qu'on pourrait croire sorti de la bouche d'un méchant de Tarantino, dont c'est une des spécialités je trouve). De la belle ouvrage.

Interstellar, Christopher Nolan, 2014


Au fur et à mesure que le crâne de Nolan enfle, ses films deviennent de plus en plus difficiles à apprécier. S'il y a ici quelques bonnes idées scénaristiques (probablement fournies par le frangin Nolan, peut-être le plus doué des deux), elles souffrent d'être traitées de manière si emphatique et programmatique. 
L'emphase, l'espèce d'intensité artificielle qui gonfle chaque scène (musique, rythme lent, rigueur exagérée de la mise en scène) finit par aplatir le film, qui ne respire et n'explose jamais vraiment. Ces longs montages alternés entre la Terre et l'espace, maintenus sous respiration artificielle par la musique omniprésente, sont le symptôme de l'absence totale de sens du rythme chez ce cinéaste (si, par exemple, on le compare à son contemporain David Fincher)

Une idée de mise en scène, perdue dans l'aridité du crâne de Nolan

L'autre problème, c'est l'absence de mystère. Tout est tellement à sa place, chaque détail est tellement là au service de l'intrigue, qu'on n'est jamais réellement surpris. On est en train de parler d'un film qui tente d'explorer un des plus grands mystères de l'humanité, qui devrait être excitant et aventureux! Mais tout est désamorcé à l'avance par des dialogues qui nous expliquent tout, et sans grande inventivité. Tout accessoire sur lequel on insiste bien, on peut être sûr qu'il va se "révéler" un élément clé de l'intrigue plus tard, jamais pour dessiner un personnage, et encore moins se révéler "inutile".

Les personnages eux-mêmes ne sont considérés que comme les outils d'une intrigue, pas comme des personnes en lesquelles Nolan et le spectateur pourraient vraiment croire, les aimer. Preuve de ce manque d'intérêt pour les personnages avec leur élimination, qui fait penser à un mauvais slasher (le "méchant" qui défend le plan B se fait dézinguer dans les minutes qui suivent). On ne touchera jamais du doigt non plus la détresse de ceux qui attendent des années (Matt Damon et le docteur es relativité du temps). C'est quand même ce que le scénario exploite le mieux, cette notion d'écoulement relatif du temps, mais un peu vite. Vite, vite, il faut retrouver le fil de l'intrigue.

Cette americana mourrante est quand même une des belles choses du film

Une de mes déceptions est aussi l'aspect spectaculaire. Si dans ce domaine certains plans sont impressionnants dans la démesure (le vaisseau proche d'un immense corps céleste, ou la vague immense de la planète des eaux), le voyage dans le "trou de ver" est assez peu marquant, alors qu'on a là toute la liberté pour imaginer ce que l'on veut. Sur ce niveau Nolan se montre très, très loin de son modèle avoué (le 2001 de Kubrick, et son voyage psychédélique final), et de son modèle inavoué (le Contact de Robert Zemeckis, qui offre à cette occasion un chouette tour de manège)

Evidemment qu'Interstellar ne se hisse pas au niveau de l'oeuvre sidérante de Kubrick, mais c'est peut-être en le comparant à l'entertainer sensible de Zemeckis que l'on peut mesurer l'ampleur de l'échec de Nolan. Zemeckis, lui aussi , liait ce voyage dans l'infini à une problématique intime, mais avec une telle empathie communicative pour son personnage principal, un talent de narrateur visuel, un sens du rythme, et plus d'idées de mise en scène dans son ouverture que dans l'intégralité d'Interstellar. Si le propos était simple, il était filmé avec passion. Tout le contraire d'Interstellar.

Il me reste à essayer de comprendre comment 3h sans idées de mise en scène et sans prise de risques peuvent passer aussi bien. Tout n'est pas à jeter, notamment cette vision antispectaculaire de l'apocalypse, la planète mourant à petit feu, vision surprenante dans ce type de blockbuster. Mais Nolan n'a pas vraiment le temps de traiter correctement cette idée : vite, vite, l'intrigue!