Jauja, Lisandro Alonso, 2015


Sur la grille de bingo du cinéma de super-auteur, Lisandro Alonso coche toutes les putains de cases, bravo à lui! Format inusité, longs plans fixes composés et éclairés avec soin, dessèchement déceptif d'un genre (pour faire genre), travail sur le hors-champ, ... tous les chapitres du manuel. Je dois dire que je le sentais un peu venir. Mais un ami à moi (secrètement amoureux de l'excellent Viggo Mortensen) m'a convaincu d'y aller.

Malgré cette impression de connaître le film à l'avance et cette peur viscérale de me faire chier comme un rat décédé, je me suis pointé au diago montpellier, bon pied, bon oeil, après avoir passé cinq bonnes minutes dans les toilettes à me balancer des claques dans la tronche pour me motiver (Ca ravive mon teint de pêche aussi) en m'encourageant dans le miroir. 
On pourrait croire ici que j'avais décidé à l'avance de détester le film, mais non, je ne suis pas comme ça, j'aime même certains des films auxquels je fais référence ci-dessus, et c'est donc plein de bonne volonté que j'entame le film, me pinçant le bras jusqu'au sang pour être sûr de pas pioncer.


Le premier abord est tout à fait agréable, la photographie et la lumière sont superbes, les sons de la nature de ce bord de mer, bien mis en évidence par les longs silences ( check! ), nous immergent dans une ambiance agréable.
Assez vite on déchante : la mise en scène d'Alonso est tout simplement insupportable, tant elle surjoue une (fausse) radicalité à base de longs plans fixes (check!), dont la durée excède toujours de quelques minutes ce qu'un être humain normalement constitué peut supporter avant de buter quelqu'un. Cette dilatation du temps ici, ne génère rien d'intéressant, ni la torpeur suave de Tabou de Michel Gomes (cochant allègrement un paquet de cases lui aussi), ni les effets de sidération incroyables des apparitions dans Oncle Boonmee (de Apichatong wehee.... rehza...wehe... Un thailandais).
Ici, on ne pense qu'au mec derrière la caméra, chronomètre à la main.

Ah ouais, tiens, le toutou, je l'avais zappé le toutou. Hommage à Kevin Costner

D'autant que dans le cadre c'est la fête du slip, aussi : les personnages posent constamment, placés de manière millimétrée, figés, récitant des dialogues énigmatiques (check!), regardant au loin des choses qu'on ne nous montre pas (check!), se parlant en regardant dans des directions différentes (check!).

Comme je suis un acharné, j'ai fini par trouver de belles scènes de cinéma dans Jauja, notamment celle où le ciel étoilé surplombant notre héros endormi est progressivement dévoré par les nuages, où une scène lynchienne dans une caverne avec une vieille maboule, faisant basculer le film de la trivialité totale (soldats qui se branlent tranquillou dans des mares - plan durant 7min42s, j'ai chronométré), à une quête mystique.

La toute fin du film est aussi l'occasion d'une belle surprise, que je qualifierai volontiers de lynchienne. Mais bordel je vais revoir Lost Highway 52 fois avant de revoir ce film-là.

Dear White People, Justin Simien, 2015


Difficile de cerner ce qui fait exactement la réussite de Dear White People. Si l'on cherche à décomposer, on parlera de la finesse des dialogues, le film pouvant presque se résumer à une suite de joutes verbales pleines de vivacité. Des dialogues truffés de références (de la trash TV à Bergman), qui sont autant d'occasions pour les différents personnages de briller - et chacun aura son bon mot.
Cet équilibre dans la manière de traiter les personnages permet au film d'éviter le manichéisme que le sujet du film aurait pu trimbaler, et imprime le bon ton au film : j'y reviendrai plus tard.

L'utilisation de la musique est un des ingrédients les plus savoureux également : ces joutes verbales sont baignées de musique, le plus souvent feutrée, musique de chambre ou jazz suave et discret, et ce quelle que soit la violence des propos échangés, remettant toujours en cause leur réelle gravité, et imprimant au film une chouette légèreté pleine de classe.


C'est ainsi que Justin Siemen imprime au film son ton, impliqué mais léger, classe mais pas prétentieux, et traite le thème du communautarisme. Il me semble qu'au lieu de simplifier le problème, il en montre toute la complexité. Comment exister en tant qu'individu lorsqu'on ne se reconnaît dans aucune des communautés? Comment exister en tant qu'individu au sein même du groupe? Ces communautés peuvent-elles se rencontrer? Par la révolte, par l'amour?

Le tout enrobé d'humour et de charme. Beau film.