Les films de François Ozon me laissent habituellement froid (ou m'énervent, c'est selon). "Grâce à Dieu" est donc une belle surprise pour moi.
Le sujet (la libération de la parole des victimes d'un prêtre pédophile) avait de quoi effrayer.
Pourtant, Ozon parvient non seulement à éviter les écueils attendus, mais à étendre le cadre du film d'enquête/procès, à la différence du réussi mais etriqué "Spotlight", sur un thème un peu similaire.
Les écueils évités.
Tout d'abord il évacue assez vite la question de la véracité des témoignages des victimes. En effet, le prêtre incriminé avoue dès la première entrevue avec Alexandre, la première de ses victimes à se manifester. On comprend assez vite aussi que les faits étaient connus d'autres adultes. On évite ainsi un suspense un peu foireux, et on décale la question de l'individu vers une problématique plus politique : celle de l'institution, de la communauté. L'autre peur que l'on pourrait avoir serait de voir Ozon verser dans la provoc facile, on redoute les scènes de flashback. Pourtant, il désamorce presque à l'avance ces séquences : elles sont toujours précédées d'un témoignage oral (ou une lettre), comme si la parole faisait renaître le souvenir. C'est une très belle idée, qui permet aussi d'éviter un suspense un peu dégueulasse, et la tentation du "plan choc".
La parole libérée.
Le nom de l'association de victimes "la parole libérée" implique qu'elle a été prisonnière. C'est là que le côté un peu méchant d'Ozon sert véritablement le film, créant une belle complexité à travers les faiblesses de ses personnages (les parents, mais aussi - c'est très osé - les victimes). Il s'agit de s'interroger sur nos arrangements avec nos souvenirs, nos oublis volontaires ou non. Il ne s'agit bien sûr pas de remettre en cause les témoignages des victimes (heureusement), puisque le prêtre avoue, mais plutôt de la manière dont leurs proches ont agi dans le passé, et comment se replonger dans ces souvenirs réécrit leurs relations, recrée des rancœurs (la terrible relation fraternelle du personnage interprété par un génial Ménochet).
Trois héros.
Un parti-pris permet cette complexité : celui de confier le rôle de protagoniste à trois personnages très différents successivement, faisant évoluer le rythme et le ton du film, et permettant de faire de ces victimes des individus à part entière. Une première partie très littéraire, presque policée, comme Alexandre. Une deuxième partie énergique, plutôt cash, et drôle comme François. Et une dernière partie tragique, volcanique comme Emmanuel.
On en arrive à un des problèmes du film : le traitement réservé aux personnages féminins. Les femmes sont jalouses, les mères sont possessives mais trop soucieuses de leur image dans la communauté. La seule qui semble trouver grâce à ses yeux (la femme d'Alexandre) est celle qui se tait et s'efface devant son mari. Mais surtout, il y a cette violence d'Emmanuel envers sa petite amie, et le fait qu'Ozon semble presque l'excuser. Cet accès de violence a néanmoins (involontairement?) une vertu : celle d'amener, là aussi, une complexité finalement bienvenue, les victimes pouvant aussi, à leur tour, se changer en bourreau.
Ces crises de jalousie introduisent aussi la question (difficile) du rapport entretenu avec les médias, de la place accordée à la parole de chacun, voire (et c'est très dur) du plaisir éventuellement éprouvé d'être courtisé, ou, du moins, de s'épancher. Les questions posées font de ces personnages des humains, avec leur défauts, et sans qu'Ozon fasse preuve de trop de froideur.
Car cette complexité n'empêche jamais l'émotion de déferler, et de manière souvent inattendue.
Mais surtout, le film laisse une trace, des séquences reviennent, il se livre aussi "à retardement". C'est rare et précieux.