L'épouvantail,Jerry Schatzberg, 1973

Ce beau film met en scène l'amitié entre Max et Lion (Gene Hackman, Al Pacino) qui se sont rencontrés au bord de la route. Dans cette histoire d'amitié, la relation entre les deux hommes est au centre du récit. J'ai choisi dans cette bafouille de m'intéresser à deux scènes-charnières qui montrent l'évolution de cette relation, comment Max et Lion apprennent l'un de l'autre, s'influencent l'un l'autre. Poil à l'épeautre.

La Rencontre : la deuxième naissance de Lionel

C'est une des premières scènes du film, qui nous montre la première vraie conversation entre les deux hommes. Ce long plan séquence fixe nous permet d'admirer les talents d'acteurs de Hackman et Pacino, toujours sur cet équilibre précaire entre le naturel (favorisé par le plan-séquence) et la composition de leur personnage.


Très tôt dans la conversation, Max se montre paternaliste avec Lionel, il lui expose son projet, lui donne un but. Quant à Lion, il semble admiratif devant la virilité de Max, impressionné par son assurance. Le jeu tout en douceur de Pacino, son regard ébahi, nous le présentent un peu comme un enfant. On avait presque oublié que Pacino pouvait jouer autre chose que des ultra-mâles violents. Quant à Gene Hackman, il est tout en virilité, et on sent la violence qui sommeille en lui aux regards agressifs qu'il lance au troisième homme au bar. Il parle beaucoup, et Lionel écoute. Avec ce mélange de paternalisme protecteur bourru et de violence il m'a un peu fait penser au génial Tony Soprano qu'incarne James Gandolfini dans la série du même nom.

Une relation père-fils s'installe, Max va jusqu'à "baptiser" Lionel. Il le prend sous sa protection.


La deuxième naissance de Max l'épouvantail

Plus tard dans le film, un plan presque rigoureusement symétrique au premier survient : cette fois-ci nous sommes dans un bar en compagnie des deux hommes. Schatzberg laisse durer ce plan fixe (quoique moins longtemps que le premier), comme pour marquer cet effet d'écho entre les deux plans.


La relation entre les deux hommes a changé. Dans cette scène c'est Lion qui parle et Max qui écoute. Il lui fait même la leçon. On peut penser que Max éprouve un sentiment de culpabilité par rapport à ce qui s'est passé. Il s'est aussi effectivement enrichi à son contact.


Lorsque l'occasion de jouer des poings se présente à nouveau, c'est Lion qui pousse Max à l'éviter. Ce dernier se change en épouvantail, le temps d'une scène superbe il va même retirer toutes les couches de vêtements superposées qu'il porte en permanence, comme autant de protections, de barrières entre lui et le monde extérieur, cherchant toujours du regard l'approbation de Lion.


Quant à Lion, il s'est endurci, les blessures qu'il porte encore sur son visage semblent avoir ébréché en partie son optimisme et son humour. Le dernier plan de la scène du strip tease est un lent zoom sur Lion, nous montrant son visage. Ce plan est d'une tristesse absolue et étonnante, Lion semble ne plus croire en sa propre théorie de l'épouvantail. 


Ce film m'a joliment pris par surprise : commençant avec la légèreté d'une comédie de personnages, il devient touchant puis véritablement poignant. On n'est pas prêt d'oublier ces deux gars, avec qui on a fait un bout de chemin.
Scarecrows are beautiful.

La Porte du Paradis, Michael Cimino, 1980


La scène ne se contente pas d'être éblouissante, elle exprime cette sensation qu'ont ces jeunes diplômés d'avoir le monde à leurs pieds, que tout est possible. Dans le discours très ironique qui précède, le personnage joué par John Hurt enflamme cette jeunesse en se moquant du conservatisme de ses aînés: il est temps pour eux de "changer les choses".
Pour exprimer cette vigueur et cette impétuosité, Cimino choisit une version "accélérée" du Beau Danube Bleu (accélérée, donc très difficile à réussir pour les danseurs d'ailleurs), ce qui donne cette ivresse folle à la scène.

Pourtant on sent déjà, derrière cette vitalité, les germes d'une désillusion. Dans la scène qui suit, le personnage de John Hurt (encore lui), le poète alcoolique, le clairvoyant, au sommet de la liesse a un brusque éclair de lucidité : "It's over. James, do you realise? It's over!". 
Et lorsqu'on a vu le film en entier et qu'on revoit la scène de danse, on ne peut pas ignorer ce chariot qui tourne autour des danseurs, prémonition d'une scène future que je ne dévoilerai pas ici...

Film époustouflant auquel cette modeste bafouille ne rend pas assez hommage. Espérons que l'extrait vous donnera envie de le découvrir, du moins.

Open Range, Kevin Costner, 2003

Vaches, chevaux, toutous, Larry Kubiak : Kevin prend son pied

A première vue, la photographie de Open Range, de Kevin Costner, paraît étrangement terne. Ce bichrome marron/vert peut paraître un peu surprenant, pendant les premières minutes du film où nous découvrons un petit groupe de cowboys (des vrais), aux prises avec leurs tâches quotidiennes dans un paysage vallonné et fertile.
En fait, j'aime beaucoup le jeu sur les couleurs et cette photo peu contrastée ("décontrasté, hihihi", ajouterait Garcimore, et il aurait raison!). Et pour deux raisons. D'une part ce style évoque la peinture ou le dessin, on pense moins à de la photographie qu'à des œuvres picturales sur le far west.

D'autre part, ce choix est en parfaite adéquation avec l'harmonie qui règne sur ces scènes. Des hommes en harmonie avec la nature, avec leur environnement, c'est ce que veut nous montrer ce bon Kevin, et je trouve qu'il y parvient tout à fait, avec une chouette musique et grâce à la douceur classique de la mise en scène. Nos cowboys se fondent littéralement dans le paysage. Comme sur ce plan, où à la faveur de la couleur, ils sont difficilement discernables de la terre dans laquelle ils pataugent.


J'aime beaucoup cette première partie, j'aurais presque aimé que Costner continue dans cette voie presque documentaire, comme un témoignage sur ces "open range cowboys" peu à peu remplacés par les propriétaires terriens sédentaires. Il y avait quelque chose à creuser, après tout ces hommes sont presque des fantômes, ils sont en voie de disparition.
Malheureusement, dès qu'on s'éloigne de ces plaines verdoyantes, ça se gâte carrément. Sous prétexte de classicisme le film accumule les clichés, et ne prend plus aucun vrai parti-pris. Plan américain, champ/contre-champ. Vous allez en bouffer. 

Le grand Robert Duvall, au milieu, se demande déjà ce qu'il fout là.

En se revendiquant ainsi classique, on risque un peu de souffrir de la comparaison avec de grands classiques du western.
On se fait souvent carrément chier pendant ces 120 minutes, beaucoup plus que pendant les 141 minutes de Rio Bravo. Il se trouve que Hawks, lui, ne relègue jamais ses personnages secondaires à un statut d'animal de compagnie, et que ses personnages principaux sont tellement plus attachants!

Les 3 faire-valoir du film, de gauche à droite par ordre de bestialité.

On est très rarement surpris. Heureusement il y a l'obsession maladive de Kevin Costner pour les toutous pour nous faire rire : la mort d'un clébard semble plus triste à ces yeux que le triste sort réservé à Larry Kubiak (véritable punching-ball scénaristique). Plus tard, notre Kevin sauve un bébé chien-chien dans une scène quand même un peu embarrassante.

On lèvera un sourcil lors de la fusillade finale, qui pétarade bien, et dans laquelle Kevin ose des reculs violents des corps touchés par les balles (mais quand même, faut pas déconner, ça n'est jamais dérangeant). J'ai eu plusieurs fois du mal à situer les personnages les uns par rapport aux autres dans cette scène, ce qui illustre quand même une sacrée limite dans le talent de filmeur de Costner - ou alors dans ma capacité à me situer dans l'espace, ah oui merde.

Et si on compare le film à des westerns plus contemporains, Open Range n'élève jamais son discours hésitant sur la violence, la morale et la justice à la hauteur d'un Impitoyable, et n'a pas le souffle de son précédent Danse avec les Loups, dont je garde un souvenir d'enfance ému mais que j'hésite à revoir, du coup.

Advice on the Prairie, William Tylee Ranney, 1853


View of Pike's Peak George Caleb Bingham, 1872


Panic sur Florida Beach, Joe Dante, 1993


Le film, sorti en 1993 dans l’indifférence générale, se situe en 1962 en Floride. En pleine crise des missiles de Cuba. Alors que l’Amérique plonge dans la psychose de la double terreur communiste/nucléaire, le réalisateur Lawrence Woolsey (John Goodman), inspiré par les réalisateurs de films de série B des années 50, présente son nouveau film : Mant, dans lequel une mutation radioactive transforme un homme en fourmi géante…

Joe Dante rassemble ses souvenirs et nous raconte son adolescence, les programmes de série B de l’après-midi, les revues de monstres qui ont égayé sa vie dans une Amérique obnubilée par la guerre froide.

C’est là que Joe Dante montre son talent : le film oscille sans arrêt entre une sincérité touchante dans sa manière affectueuse de nous transmettre son amour du cinéma de genre (auquel il parvient à rendre hommage tout en s’en amusant) et une ironie mordante, une certaine gravité aussi en ce qui concerne l’amérique de l’époque, à l'image de ce jeune héros privé de son père parti combattre.


Le film est avant tout très drôle. John Goodman est comme d’habitude génial, et la mise en scène fourmille de petits détails amusants en plus des dialogues très réussis. On s'amuse à la fois de l'aspect délirant qu'a pu prendre la psychose (les scènes de supermarché, ou les exercices de simulation à l'école!), et du côté timbré mais passionné du personnage du cinéaste.


Mais au-delà de ça, il y a une certaine mélancolie qui se dégage du film, une nostalgie de ce cinéma fait de trucages mécaniques et porté par des savants fous passionnés. La même année sort Jurassic Park, qui annonce l’entrée dans l’ère numérique, et condamne ce cinéma-là. Si on est attentif on percevra la profonde tristesse de ces quelques plans où le personnage de Goodman arrête la projection, l’écran semblant tout à coup bien vide.

Le film brûle de cet amour du cinéma de forain, son climax pendant la projection du “film dans le film” (le génial Mant) est très réussi malgré une ou deux péripéties un peu forcées. On a tout simplement envie d’être dans cette salle!


Tout le long du film Joe Dante montre sa capacité à créer des plans ambigus, entre joyeuse naïveté et critique violente (qu’on y soit attentif ou non, le film fonctionne). A ce titre le plan final sur un hélicoptère ramenant les “boys” à la maison sur une musique joyeuse prend tout à coup une tonalité inquiétante : un plan plus serré sur l’hélicoptère et l’arrêt de la musique annonce l'imminence d'une autre guerre. Quelques années plus tard, la génération du héros (et de Joe Dante), partira au Vietnam.

Ce film est un petit bijou, drôle, sincère, touchant, profond, avec plein de niveaux de lecture différents qui fonctionnent. A découvrir! 

Il Etait une fois en Chine, Tsui Hark, 1991

Je suis passé à côté du cinéma hongkongais, malheureusement je ne connais que quelques films de Johnnie To (pas mal, d'ailleurs). Pour rattraper mon retard, j'ai décidé de m'attaquer à Il était une fois en Chine de Tsui Hark.

Et j'ai bien fait. C'est une oeuvre d'une très grande envergure, prouesse de mise en scène, de chorégraphie de combats, qui retrace une période passionnante de l'histoire de Chine : un western chinois. Le film se situe au XIXème siècle, une période de mutations pour la Chine, ce qui permet de traiter un double choc : le choc de civilisations entre l'Occident et la Chine en entraîne un autre entre la tradition et la modernité.


Je suis allé faire pareil sur la plage juste après le film.

C'est un véritable hommage que construit Tsui Hark, un hommage au kung fu, personnifié par le personnage du moine shaolin Wong Fei Hung (Jet Li).  Wong Fei Hung est une sorte d'idéal de héros, combattant émérite, leader sage et juste, respecté. Il est confronté à deux problèmes : d'une part, l'attitude trop bienveillante des autorités chinoises à l'égard des navires occidentaux qui cumulent les bavures. De l'autre, une bande de gangsters qui sème le désordre et jette l'opprobre sur sa milice. C'est donc en équilibre que se trouve le héros, et la mise en scène met constamment en images ce problème, y compris dans la première scène, dans laquelle on le voit dansant sur une corde.

C'est dans la cohérence entre la problématique de l'équilibre politique (entre conservation de ses traditions et acceptation d'une certaine modernité), et les problématiques que pose le kung fu à ses pratiquants que le film est génial, d'autant que cette notion d'équilibre donne lieu à des combats spectaculaires, superbement chorégraphiés et filmés, respectant le plus possible la continuité de l'action sans la charcuter au montage.


L'équilibre selon Jet-Li.

C'est dans cette manière de retranscrire des problématiques complexes avec sa seule mise en scène que Tsui Hark impressionne. C'est par l'image que le spectateur est plongé dans les situations, sans avoir recours à une quelconque voix-off pour nous l'expliquer (leftybastard appréciera).
Il lui suffit par exemple d'une scène très drôle dans laquelle des prêtres catholiques rivalisent en volume sonore avec un orchestre traditionnel pour pousser leurs "alleluïa", et Tsui Hark nous a montré habilement un des aspects de la cohabitation entre l'occident et la Chine traditionnelle.

L'ambition de Tsui Hark de construire une véritable fresque est enthousiasmante, d'autant qu'il parvient à intégrer à ses scènes d'action des aspects de la vie quotidienne de l'époque en Chine (cette scène de combat brillante dans le quartier des commerçants, avec les enseignes en bois des échoppes), la chorégraphie des combats étant entièrement pensée en fonction du décor.


Jet Li, Mary Poppins, même combat

Si le film pratique volontiers l'iconisation de ses personnages et du kung fu grâce à de superbes plans (comme dans le générique), il n'en oublie pas la légèreté, le film est constamment baigné d'un sympathique humour de gamin, simple, universel et dépourvu de toute prétention. C'est vraiment rafraîchissant surtout compte tenu de l'ambition de Tsui Hark.

Au rang des défauts, il est vrai qu'il faudra se faire à une post-synchro assez atroce (tout est grave décalé), mais on s'y fait assez vite.
Un film superbe, spectaculaire, drôle et constamment inventif. Un modèle.

Je vous laisse, je vais m'inscrire dans une école de kung fu. A bientôt!


Real, Kiyoshi Kurosawa, 2014


Coucou! Hihihi.

Un appareillage technologique permet à un jeune homme de se connecter mentalement au subconscient de sa fiancée, dessinatrice de manga plongée dans le coma.
Dès le titre et cette accroche, la curiosité est éveillée et on se pense sur un terrain assez connu si on a lu des bouquins de Philip K.Dick. C'est bien ce terrain qu'explore Kurosawa, un territoire mental permettant de questionner sans arrêt le spectateur sur la réalité de ce qui est montré, voire de la segmenter en "niveaux" de réalités imbriquées.

On pense évidemment à Inception, et c'est très intéressant de voir les manières opposées qu'ont les deux auteurs de déambuler sur ce terrain de jeu. Contrairement à Nolan, Kurosawa semble peu soucieux de nous informer des règles qui régissent cet univers, par nature complètement instable, et préfère nous surprendre (on apprécie). C'est l'occasion pour lui de donner libre cours à sa superbe imagination visuelle, sa manière si créative de créer des êtres étranges, flous, gommés, en décalage, ou au contraire trop nets et figés : des fantômes, des souvenirs, des "zombies philosophiques", comme ils sont appelés dans le film.


Le pilier central de l'appartement sépare souvent les deux amants, ils sont dans des vignettes, deux mondes différents

Comme Kurosawa est intelligent, il utilise des idées de BD, puisque nous sommes dans la tête d'une dessinatrice de manga. Il le fait de manière assez fine, souvent avec comme seule arme la composition de ses plans, enfermant parfois ces personnages dans des vignettes à l'intérieur du plan, traçant des lignes et des démarcations, soulignant comme souvent chez lui l'absence de "contact" entre les personnages. "Contact", c'est aussi le nom donné aux connexions mentales auxquelles se prête le personnage principal.

Il va même jusqu'à "gommer" son image et nous offre des trésors visuels comme ce superbe plan où une ville perd peu à peu sa couleur, volutes se dissolvant en spirale vers un ciel sombre. Kurosawa expérimente beaucoup dans ce domaine, et continue aussi son travail sur la confrontation de plusieurs "régimes d'image", des plans video basse définition faisant parfois brutalement irruption.


Bon, là c'est illisible, mais au cinoche, ça marche, je vous jure

Comme souvent chez Kurosawa, il est question de culpabilité. Une des métaphores pour la représenter (je ne vous dévoile pas la plus "évidente", à la fois classique et surprenante) que je trouve superbe, c'est cette corde, cette ficelle qui retient votre jambe, cette saloperie qui vous empêche d'avancer, de vous en sortir. Malgré la gravité du propos, c'est plutôt un film ludique, décomplexé dans lequel l'auteur se permet de mixer les genres, de malmener aussi la linéarité du scénario.

Malgré toutes ces qualités indéniables, le film peine parfois à nous passionner, le rythme est assez languissant, et les multiples "connexions" donnent un aspect répétitif et haché à l'ensemble. Peut-être aurait-il fallu rendre plus poreuse encore la frontière entre les "mondes", nous désorienter sans arrêt?

Quoi qu'il en soit, ça reste, comme tous les films de Kurosawa, très créatif, il est très intéressant de voir comment il s'approprie ce genre d'exercice et crée sa propre identité visuelle, sans rapport avec ceux qui l'ont précédé (Cronenberg, Nolan, Cameron...)

Massacre à la tronçonneuse, Tobe Hooper, 1974


Mon petit doigt m'a dit "Bizarre, t'as pas encore parlé de film d'horreur". Mais tiens mais alors non mais c'est vrai ça. J'adore ça les films d'horreur en plus. 

Alors je commence par un de mes préférés (mon préféré?), j'ai nommé le légendaire Massacre à la Tronçonneuse. J'emploie le terme légendaire à dessein : car le film est précédé d'une sacrée réputation, il est mythique au point que les gens en parlent sans l'avoir vu.
Car s'il y a un film qui m'a surpris, c'est celui-ci. Il m'a mis un vieux coup de marteau à bétail sur la tronche, le con. Car à cause de son titre et de sa réputation, je ne sais pas pourquoi je m'attendais à un truc très gore et très "second degré", cynique, où c'est fun de massacrer des gens parce que de toutes façons, c'est des cons. L'horreur macdo qu'on nous sert souvent quoi.

Hé bien non. Nulle jubilation ou jouissance, nul gore fendard pour détendre l'atmosphère, ni second degré à la Scream pour mettre de la distance. "C'est du brutal", comme on dit dans les tontons flingueurs. 

De quoi ça parle? De jeunes hippies insouciants traversent le Texas à bord d'un minibus. Ils s'aperçoivent bien vite qu'ils sont entrés dans un territoire étrange et malsain dès leur première rencontre avec un auto-stoppeur qui semble en proie à des obsessions morbides. Ils se débarrassent de lui, mais ce n'est que le début... (wikipedia)





Le film est pour moi un pur exploit de mise en scène, qui ne joue sur aucune des facilités du genre horrifique : pas de sursauts de bourrin, pas de surnaturel, très peu de scènes de nuit (une seule même je crois). Tout cela est remplacé par un traitement cohérent et pictural de thèmes potentiellement porteurs d'horreur : notre rapport à la viande, la confrontation entre la bestialité et l'humain, et l'aspect malsain que peut prendre l'isolement total d'une famille plutôt dysfonctionnelle... Tout cela étant parfaitement cohérent avec le cadre dans lequel se déroule le film, créant un territoire d'horreur.

Cette thématique de la viande, du vivant à la pourriture, Hooper l'utilise pour transformer le soleil - astre qui habituellement annonce le soulagement après la nuit - en une entité mauvaise, surplombant les personnages et les inondant de sa chaleur écrasante, créant pourriture et sueur.
Ainsi Hooper parvient à faire puer son film. J'ai rarement vécu ça à ce point. C'est des images, là, sur un écran, mais non : ça daube dans ton salon. Des sons mécaniques, créant un malaise diffus, sont aussi utilisés, comme cette longue scène où un groupe électrogène pétarade continuellement. Sans parler, bien sûr, de la célèbre tronçonneuse que l'on entend plus qu'on ne la voit.



Un autre des atouts de ce film incroyable est le mystère permanent qui règne sur cette famille de fous. Ont-ils toujours été comme ça? Le sont-ils devenus? Pourquoi? Qu'est-ce qui se cache derrière ce rideau en fer? Derrière le masque de Leatherface, le petit dernier? Certains débuts d'explication sont donnés, mais le spectateur n'est pas pris par la main pour qu'on lui explique tout : "Démerde-toi avec ce que je te balance dans la face". Et ça renforce énormément le sentiment d'horreur, mais aussi étrangement, une forme d'empathie, de pitié, envers ces êtres qui repoussent un peu loin la définition que l'on peut donner d'un être humain...

Enfin, il y a une grande montée en puissance de l'aspect presque halluciné du film au fur et à mesure que l'on aborde le point de vue d'une héroïne, jusqu'à un final ahurissant de folie grotesque (masque, danse macabre, ricanements nerveux) qui nous laisse hagards.
C'est aussi dans ce grotesque que se niche une des clés de la réussite du film : les situations pourraient quasiment, filmés différemment, être comiques ( D'ailleurs Hooper le fera dans sa suite, auto-parodique ). Il me semble que ça crée un décalage assez troublant chez le spectateur.

On présente souvent les années 70 comme une sorte d'âge d'or pour le cinéma d'horreur américain. Carpenter, Craven, Hooper, Romero, et un Tom Savini revenu fraîchement du Vietnam s'en donnent à coeur joie. Et ce film en est l'un des fleurons, une expérience tétanisante.