Qu'elle était verte ma vallée, John Ford, 1941

Scandaleux mensonge du titre du film : la vallée n'était pas verte.

Comme je le dis ci-dessus, je suis un inculte. J'entends par là que ma culture cinématographique n'est pas celle, chronologique et classique, enseignée dans les facs, par exemple. Je découvre au gré de mes envies, et donc sans logique particulière. De fait, il me semble que plus je découvre, et plus je remonte le temps, découvrant les classiques fondateurs après les œuvres qui en découlent.

C'est ainsi qu'ayant été subjugué par la manière qu'avait Michael Cimino de faire vivre au spectateur la vie d'une communauté, je découvre ce superbe film de Ford, certainement une immense inspiration pour l'auteur de Voyage au bout de l'enfer et la Porte du Paradis.
Dans ce film, John Ford raconte la vie d'une famille de mineurs gallois au XIXè siècle, et à travers elle, la vie d'un petit village confronté à l'industrialisation. 

Les montées et descentes de ce chemin qui mène à la mine rythment le film

C'est par les chants et les fêtes que le spectateur se retrouve immergé dans cette communauté. Les chants touchent en plein cœur, comme lors de ce retour joyeux de la mine en début de film, décrivant un monde dans lequel tout le monde trime, mais tout le monde a à manger. Toute cette première partie est tout simplement magnifique, on a véritablement l'impression de faire partie de ce village, tant les détails fourmillent qui rendent réel ce qui est à l'écran.

Mais le titre du film nous prévient : ce qui nous est présenté comme un Eden, à travers les yeux du narrateur, est déjà mort, fait déjà partie du passé. Ce qui charge chaque plan d'une intensité ambiguë, les moments heureux étant déjà des souvenirs. 

C'est particulièrement évident lorsque la famille reçoit une lettre de la Reine qui convie son fils à chanter devant elle. Le père lance alors, exalté, les préparatifs d'une grande fête. Au moment où il se réjouit de la grande fête de départ qu'il fera pour ses fils et au sommet de sa joie, il se rend compte que ses enfants vont partir et la séquence se charge soudain d'une grande gravité.

La mère et le fils, à gauche, réalisent avant le père le sens de cette fête

Un autre élément intéressant à mon sens est la place de l'Eglise dans la vision de Ford. S'il présente la Foi au sens large comme un ciment de cette communauté, et un moyen d'avancer (au sens propre via le personnage principal!), il condamne l'institution religieuse et le fanatisme avec force.

Je n'en ai pas parlé, mais techniquement le film est un sans-faute : très beau noir et blanc, belle musique, et surtout un découpage et un montage quasiment invisibles. Grand film, quoi.

True Grit, le match


Le match des versions, épisode 2 : Les deux versions de True Grit.


La jeune mais déterminée Mattie Ross travaille comme comptable dans le ranch de son père John. Celui-ci décide de partir acheter des poneys mustang à Fort Smith. Il est assassiné en cours de route par son contremaître Tom Chaney.
Mattie Ross entreprend alors de venger son père et engage à cette fin Rooster Cogburn, un shérif fédéral borgne qui a du cran (man with true grit, titre original du film), aux manières désinvoltes et expéditives, qui pourra s’introduire dans la réserve indienne où l’assassin a trouvé refuge.

True Grit, Henry Hathaway, 1969


Le film de Hathaway touche d'abord par sa fraîcheur, sa candeur, on vit cette aventure comme la vit son héroïne, plus amusée qu'effrayée par les gros durs un peu balourds qui l'entourent. Je trouve qu'il y a du souffle, quelque chose qui dès le début dans le village, donne envie de partir à l'aventure. Peut-être parce que le cadre laisse toujours la place pour le splendide décor alentour, ces montagnes qui souvent apparaissent en arrière-plan.
Le titre, la présence d'un John Wayne énorme et un peu cabotin, la mise en scène et la narration très classique, tout ça pourrait vite paraître un peu vieillot au premier abord. Mais même si on est devant un western "à l'ancienne", le film est surprenant par l'omniprésence de la mort (meurtre du père, pendaison, fusillades, poignards...), et une certaine violence parfois absurde. 
Définissez "badass". Vous avez un plan.

On se rend compte que c'est une fausse candeur qui habite le film, un plan sur le visage effaré de la jeune fille confrontée à la mort d'un homme par sa faute remet les pendules à l'heure. Une autre séquence typique de cette fausse candeur : une fin dans laquelle le héros saute par-dessus une barrière et s'en va, sur une musique héroïque. Mais la scène se situe... devant une tombe.
C'est dans cet équilibre, dans ce combat constat entre film très premier degré, bon enfant, et une noirceur un peu cachée, que le film est superbe (dit autrement : film de studio/film d'auteur)
C'est aussi parce que, s'il est question de courage dans le film, comme l'indique le titre, il est aussi question, de manière moins évidente, du prix de la vengeance.

True Grit, Joel et Ethan Coen, 2010

Affiche à la con, quand même non?

Le remake des frères Coen est très respectueux du film de Hathaway. Les différences sont très peu nombreuses, de subtiles variations qui, si elles donnent au film un ton assez personnel, peinent à justifier la démarche du remake.
Evidemment la mise en scène et la narration sont moins classiques, plus inventives, comme dans cette belle introduction, ou quelques ellipses ici ou là. Plus référentielle aussi, avec cette descente de train qui rappelle Il était une fois dans l'Ouest.
Un des parti-pris des Coen est de faire raconter l'histoire par le personnage de Mattie plus âgée, qui ouvre et conclut le film.
Le personnage de Rooster Cogburn est interprété par un très bon Jeff Bridges, qui dessine un personnage plus bavard, grommelant dans sa barbe des histoires inintéressantes avec un fort accent du Sud. 
Le ton du film est beaucoup moins premier degré, il y a un certain recul par rapport à ce qui est montré (il n'y a qu'à voir comment Matt Damon est grimé).


La Mattie des frères Coen est plus jeune et porte des tresses

Le film s'offre une petite incartade en territoire surréaliste le temps d'un épisode étrange qui mêle un pendu, un indien, et un dentiste à fourrure d'ours.
D'un côté on peut remercier les frères Coen d'avoir mis dans le cadre les Indiens que le film de Hathaway laissait complètement hors-champ de l'intrigue (on est pourtant en territoire indien!). Toutefois, ils n'en tirent pas grand chose d'intéressant, à part une certaine ironie sur le racisme de l'époque (la pendaison).

C'est surtout dans son épilogue que le film des Coen se distingue, un point final très amer et plein de regrets, d'une grande tristesse, nous montrant une Mattie assez aigrie.


Conclusion

Le remake des frères Coen a beau être un excellent film, je préfère l'original, rempli d'idées géniales et d'émotions simples, moins froid. On peut se poser aussi la question de l'intérêt de la démarche, tant les films sont proches (jusqu'aux lignes de dialogues identiques parfois). Je conseille en tous cas fortement les deux films.