Split, M.N. Shyamalan, 2017


M.N. Shyamalan s'est retrouvé obligé, après une série de bides critiques et commerciaux à gros budget, de repasser par la case départ. En acceptant une commande du producteur Jason Blum, il se frottait avec beaucoup de malice et de talent au style du found-footage, avec un budget très mince. J'en avais parlé ici, ça donnait un joli petit film : The Visit. C'était un peu une renaissance pour lui, et la contrainte semble avoir relancé ses envies de cinéma.

C'est pourtant, ici encore, une simple idée de série B qui est à l'origine du film. Dès le plan inaugural, un très lent travelling compensé sur son héroïne, une longue focale l'isolant du reste du monde dans un décor de fast-food, on sait pourtant que l'envie de mise en scène de l'ex-golden boy est de retour. La séquence qui suit le confirme : avec une voiture, un parking, un rétroviseur et son sens du hors-champ, il réalise une géniale séquence d'enlèvement, avec un sens du suspense rare chez ses contemporains.

C'est ensuite dans le confinement que le film travaille, limitant les plans extérieurs à la cave, décor du huis-clos. Seules exceptions à cette règle, des séquences dans le cabinet d'une psychiatre (personnages qui inspirent énormément Shyamalan, revoir Sixième Sens), et une poignée d'extérieur-nuit.



Avec élégance et sobriété, il va alors se livrer avec son acteur principal (James Mc Avoy, qui n'a été jamais aussi bon), à une mise en abîme du jeu et de la mise en scène, l'acteur interprétant tour à tour une galerie de personnages divers, non sans un recours (nécessaire) à la caricature, mais sans pour autant les sacrifier. Chacun de ces personnages est un être à part entière, sur lequel il porte un regard empathique communicatif.
C'est à une série de petits tours de magie que nous assistons, voyant sur un même corps apparaître Patricia, Barry, Kevin, Casey et Denis (sublime scène de rencontre lors de laquelle la psy se retrouve enfin face à cette personnalité enfouie).

Le jeu avec les genres va se poursuivre tout au long du film, entre malice scénaristique et rigueur de mise en scène. On retrouve avec plaisir son sens de l'humour (qui déjà, repointait le bout de son nez dans The Visit), et une maîtrise retrouvée de la rupture de ton (qui manquait cruellement à la tentative folle qu'était "Phénomènes", flirtant régulièrement avec le nanar). Car c'est ici aussi, comme dans Sixième Sens et Incassable, une grande noirceur qui travaille le film.


Les cauchemars d'enfant, terreau fertile du Shyamalan Universe

Arrive un long climax captivant : qui d'autre que Shyamalan est capable aujourd'hui de maintenir une telle intensité, une telle émotion, signe de son ambition retrouvée de cinéaste qui doit encore prouver?

La dernière séquence réserve une petite surprise : certains l'interpréteront comme un simple clin d'œil, d'autres comme un coup marketing : j'y vois le retour d'un auteur, qui unifie, malgré la diversité des genres abordés, l'univers de ses films. Un univers cohérent qui injecte du mythe dans la banalité, avec une rare compréhension de ce qu'est le genre fantastique.

Je trépigne en attendant la suite.

Rogue One : A Star Wars Story, Gareth Edwards, 2016


Dans l'épisode IV de la saga Star Wars, la princesse Leïa, au moment de révéler le plan d'attaque pour détruire l'Etoile Noire (ou de la Mort, je sais plus) déclare solennellement : "des hommes sont morts pour nous fournir cette information".
C'est le point de départ de ce nouvel épisode réalisé par Gareth Edwards : raconter cette histoire, celle de ces oubliés. Et je trouve que c'est une très belle idée.

C'est bien de redonner du travail à Yvan Attal

Le film puise donc à la fois dans les ingrédients scénaristiques habituels de la saga : les écrits de Joseph Campbell sur le monomythe (le héros aux mille et un visages, je l'ai pas lu mais je le cite sans vergogne), mais aussi de manière plus surprenante et inédite, dans une trame de film de guerre, et notamment les récits sur la Résistance française pendant l'occupation.

C'est cette deuxième influence qui tire cet épisode vers le haut : les rebelles sont ainsi filmés non comme à l'habitude (des gentils gauchistes), mais comme ni plus ni moins, des guerriers prêts à sacrifier des vies (et pas que les leurs) pour leurs idéaux.

Forest Whitaker, chef rebelle qui se défonce à l'oxygène : j'aime

On ne peut que saluer cette ambition, même si, par manque de talent, Edwards ne parvient pas toujours à gérer ce grand écart. L'empathie pour les personnages est absolument nécessaire pour faire fonctionner le climax façon "les 7 mercenaires", et pourtant l'un d'eux(sosie d'Yvan Attal) nous est présenté assassinant froidement un innocent pour accomplir une mission, un autre pratiquant une forme de torture originale et relativement affreuse. Il aurait fallu un cinéaste plus spécialiste de l'ambigüité (Verhoeven) ou spécialiste de ces personnages antipathiques que l'on suit pourtant jusqu'au bout (Friedkin). Le traitement est superficiel et échoue donc (bien sûr) à faire d'un Star Wars un nouveau "L'armée des Ombres".

S'il échappe le plus souvent à la laideur, le film sombre dans le mauvais goût lorsqu'il utilise des avatars numérisés pour ressusciter des personnages trop vieux pour ces conneries (Carrie Fischer, morte depuis) ou morts tout court (Peter Cushing). L'impression d'assister à une cinématique de jeu vidéo, le temps de quelques plans, est assez risible, et risque de vieillir extrêmement mal. Mais vraiment.

Ceci dit, Rogue One est un honnête film de guerre plein de bonnes intentions qui, à défaut de prendre aux tripes, se suit sans déplaisir, et auquel il ne manque qu'un réalisateur plus talentueux.