Mad Max Fury Road, George Miller, 2015


Si la déflagration que représente ce Mad Max dans le paysage du blockbuster actuel met en évidence la médiocrité de la concurrence, elle est aussi due à ses grandes qualités cinématographiques.

Le retour de George Miller sur la saga qu'il avait créée à l'orée des années 80 se fait en grand (un budget de 150 millions quand même*), et Miller en profite pour déchaîner toute la folie baroque permise par son univers post-apocalyptique. L'audace de Miller à la tête de ce projet pharaonique fait plaisir à voir, tant il prend tous les risques esthétiques possibles. Déjà spécialiste des ballets mécaniques et des cascades "en dur", Miller ne tourne pas le dos aux possibilités qu'offre le numérique en termes de spectaculaire (une poursuite dans une tempête de sable absolument superbe), et d'imagerie : le film a sa photographie propre, très contrastée, pour un résultat parfois discutable mais qui a le mérite de donner au film une vraie singularité visuelle.


C'est avant tout sur le plan de la narration visuelle que Miller se montre impressionnant : le spectateur est jeté dans un univers qu'il ne comprend pas (jusqu'au langage que progressivement on apprend) via le personnage d'un Mad Max prisonnier. Passée cette courte introduction, c'est à une immense poursuite à laquelle nous allons assister, une succession de scènes d'action impressionnantes, à l'intérieur desquelles Miller, maître du rythme à l'aide d'un découpage et d'un montage à la musicalité superbe, parvient à caractériser des personnages, à mettre le spectateur en empathie avec eux, et affine la description de son univers foisonnant (via le fanatisme des guerriers d'Immortan et leurs rites étranges).
Maître du rythme aussi parce qu'il sait réserver des pauses au spectateur, ne pas l'épuiser, et que ces pauses sont l'occasion de plans magnifiques, libérés de l'intrigue (un Mad Max enseveli se déterrant peu à peu, la traversée d'un marais à l'ambiance presque fantastique)


Le traitement réservé au personnage de Max, son héros, est un des points surprenants et réussi du film. Après une introduction nous le présentant en badass hanté par les remords, iconisé, il est fait prisonnier très facilement (comme un pied de nez de Miller), et va passer une bonne partie du film attaché, puis éclipsé par le charisme de Furiosa (Charlize Theron iconisée à jamais), à qui il laissera même les commandes. Il sera aussi fréquemment utilisé dans un registre comique, le jeu de corps bestial et les grognements de Tom Hardy aidant. Cela résume assez bien le regard distancié que Miller porte sur sa saga, en poussant le curseur beaucoup plus loin dans le registre de son imagerie, jusque dans ses éléments les plus grotesques (le masque d'Immortan), il fait preuve de la bonne dose d'humour nécessaire pour qu'on accepte ce déchaînement visuel et pyrotechnique.


Mais au-delà de ce regard amusé, il y a bel et bien de vrais élans tragiques qui parcourent le film. Miller ne pratique pas l'autoparodie, et le destin de ses personnages lui importe (et du, coup, au spectateur aussi). C'est bien l'humain qui importe dans Mad Max, la survie d'une poignée d'humains face à une menace énorme. A l'intérieur de ses poursuites Miller prend même le temps de créer une belle romance, donnant quelques plans d'une délicatesse folle (une caresse, un regard). Si Max est attaché ou relativement effacé, c'est aussi parce que Miller en fait le témoin d'une légende : la fin d'un roi et l'avènement d'un autre (lire cet article), la libération d'un groupe de femmes exploitées, et finalement celle d'un peuple, inscrivant ainsi son film comme un épisode d'une plus vaste mythologie.

Grand film, de ces blockbusters qui restent, comme trop rarement la machine hollywoodienne en produit.

* ce qui est finalement inférieur de 100 millions au budget du dernier Avengers, dont j'ai déjà oublié quasiment la totalité.