La Peau Douce, François Truffaut, 1964

 « Il filme des scènes d’amour comme des scènes de meurtre et des scènes de meurtres comme des scènes d’amour » 
François Truffaut, à propos d'Hitchcock.
Il fallait vraiment le talent de la truffe pour tirer un film aussi intéressant de cette histoire d'adultère au personnage principal plutôt antipathique (il est assez lâche notamment).

C'est vraiment la virtuosité de la mise en scène qui élève ce film. Le découpage très nerveux est vraiment d'une superbe élégance, très moderne. Un exemple de cette virtuosité du découpage/montage se trouve lors d'une scène à l'aéroport : à un plan sur la voiture à bagages vient naturellement se coller un gros plan sur la valise sur le tapis, dans le même mouvement fluide. Puis une main fait irruption dans le cadre pour se saisir de la valise, un mouvement de caméra nous révèle alors le baiser qu'échangent les personnages de l'homme marié et de sa maîtresse.

J'ai une blague, mais j'assume pas ma propre lourdeur. Faites vos propositions de légende dans les commentaires 

Cette maîtrise du rythme, tour à tour accélération ( l'exemple ci-dessus ) ou au contraire étirement de certaines séquences ( le coup de fil final, ou la rencontre dans l'avion ), crée un suspense vraiment particulier, qu'on n'a pas l'habitude de rencontrer dans ce genre de film. En nous faisant ressentir la nervosité du personnage principal, Truffaut renforce le caractère tragique de l'histoire. Si l'on peut sentir que cette nervosité due au caractère secret de l'histoire d'amour en est un des ingrédients car elle en fait un jeu, le ton est loin d'être léger, nous préparant à un dénouement qui sans ça aurait pu paraître forcé.


Ce dénouement, construit autour d'un coup de fil et citation directe du film "le crime était presque parfait" m'a rappelé cette phrase de Truffaut. Cette histoire d'amour a beau être exquisement écrite, elle est filmée comme on le ferait dans un film d'espionnage ou un film noir : on se cache, on se fait passer pour quelqu'un d'autre, on utilise un langage codé (le superbe "Au revoir mademoiselle - Au revoir monsieur", ou la banalité des mots mise en doute par l'expressivité des regards), et la scène finale est un acte d'amour total, désespéré.

En résumé, encore un film passionnant de la truffe, qui est peut-être encore visible sur le (Helen) Replay d'Arte.

Révélations, Michael Mann, 1999


Ce film de Michael Mann m'avait toujours repoussé. J'ai un rapport un peu étrange avec le cinéma de Mann : certaines scènes me collent des frissons partout, mais je ne suis jamais complètement emporté, je trouve ses films assez cons même parfois (la pirouette finale de Collateral), voire je m'ennuie carrément (Ali, Public Ennemies). Bon, j'aime beaucoup Heat, quand même.
Et donc, en lisant un peu le pitch de celui-ci (Le film est basé sur l'histoire réelle de Jeffrey Wigand, souhaitant dénoncer les pratiques d'un cigarettier), je n'étais pas du tout attiré, au premier abord. Je sentais venir le film-dossier super chiant, empêtré dans les "faits réels" relatés. 

Et en fait c'est carrément ça, mais c'est bien! C'est la première fois que j'ai eu l'impression que Mann était profondément touché par ce qu'il raconte. Alors qu'on pourrait s'attendre à un "thriller haletant", comme aiment à le dire les programmes télé, le film installe une ambiance extrêmement mélancolique et se place à l'échelle humaine. Cette mélancolie, elle est issue du constat que tire le cinéaste de cette affaire : dans ce pays qui déteste pourtant le mensonge, ceux qui veulent révéler la vérité sont virés, menacés, écrasés par une force sans visage : celle de l'argent. 


Le film de Mann est une réussite parce qu'il filme comme des héros la poignée de personnages qui luttent pour faire éclater la vérité. En leur donnant toutes les excuses pour flancher, il souligne leur courage de ne pas le faire. Il y a d'abord, bien sûr, cet "insider", viré de sa boîte pour avoir donné l'alerte, avoir agi en son âme et conscience, à qui on demande de perdre encore plus pour arriver à cette victoire symbolique.
L'ambiance dépressive du film sera extrêmement importante ici : en nous faisant ressentir la tristesse ressentie par ce personnage, Mann nous met à sa place. Ce qui oblige le spectateur à se demander : "Est-ce que je serais allé au bout?", le combat n'en est que plus poignant.
Entre parenthèses, c'est bien la première fois que je trouve Russell Crowe émouvant, je ne suis pas prêt d'oublier son regard.


Il y a aussi ce journaliste incarné par un très juste Al Pacino, combatif et réfléchi, qui devra aussi s'investir personnellement lorsque la puissance de l'argent viendra contaminer son travail. Cet épisode est aussi très réussi, exposant les points de vue du journaliste et de ses deux collègues face à la situation ( tous semblent respectables aux yeux du film ), obligeant là aussi le spectateur à se positionner.

En plus, Mann nous évite les interminables scènes de procès (souvent chiantes au cinéma). Il n'y en a qu'une ici, très courte, le temps d'une colère de l'avocat défendant le héros, court moment extrêmement poignant car il nous montre un homme pas seulement en train de "faire son travail", mais réellement engagé dans cette affaire. 

En plus il est joué par le mec qui joue Jack Dalton dans MacGyver! Bonus.

Le film se permet aussi quelques belles envolées formelles, comme cette partie de golf de nuit contenant quelques belles idées de mise en scène : elle s'ouvre comme un ciel étoilé, puis on constate en fait qu'il s'agit de balles éclairées sur un green. Et il y a ce glissement du léger doute vers la paranoïa totale. Cette séquence est indéniablement réussie.



C'est donc un beau film classique, auquel je reproche seulement ses choix musicaux (c'est souvent le cas chez Mann). Ici par moment l'espèce de daubasse "world music" devient assez envahissante, c'est dommage. Mais on n'est pas prêt d'oublier ces personnages.

Mange tes morts, Jean-Charles Hue, 2014


Le cinéma de Jean-Charles Hue, c'est un des rares exemples récents d'hybridation réussie entre des influences très américaines et un univers très français. C'est aussi une hybridation réussie entre le réel et la fiction.
C'est un petit paradoxe ce film, qui vise à la fois dans sa forme le "cinéma du réel", à travers les dialogues, la liberté laissée aux acteurs, naturellement charismatiques (avec cet effet de bord qui fonctionne : les imperfections de jeu sonnent juste), et un style visuel extrêmement soigné pour propulser ce réel vers un ailleurs, celui du mythe. La dramaturgie y est aussi très inspirée des films de gangsters américains : la famille et son emprise, le "droit chemin", la dignité, etc...
Le résultat est très puissant : tout sonne juste et est en même temps "bigger than life", suffisamment pour fasciner. A mille lieues du documentaire sociologique condescendant ou complaisant, le film n'en est que plus immersif.

La découverte de l'alpina de Fred, séquence fantastique de toute beauté

L'univers décrit, on le devine complexe, les divergences de point de vue sont nombreuses entre les différents membres de cette communauté. Il y a évidemment cette communauté dans la communauté, celle des chrétiens, qui reste enveloppée d'un certain mystère, mais aussi entre les différents membres de la famille qui s'opposent.
Il y a quelque chose de remarquable, c'est cette impression que les personnages, même secondaires voire figurants, continuent d'exister en-dehors du cadre. Ce hors-champ narratif c'est le terreau du film aussi, un coup de boule au naturalisme fabriqué : il ne s'agit pas ici de créer une fiction qui imite le réel, mais de se nourrir du réel pour le pousser vers le cinéma pur, à travers une mise en scène spectaculaire, presque fantastique lors de cette virée de nuit en bagnole, collé aux visages de Fred et ses frères.

Il faut parler de la lumière du film, magnifiquement soignée (ici point d'images fadasses ou grisâtres pour "faire vrai"), que ce soit en extérieur jour, les plans à contre-jour venant donner une dimension mystique au personnage de Fred, ou dans cette nuit bleutée éclairée par les phares des bagnoles. Cette lumière, qui déjà, venait inonder le premier film de Hue lors de la révélation spirituelle de son personnage principal, on la retrouve ici avec cette même dimension mystique.

On en veut encore.