Comme des trains dans la nuit



Les films sont plus harmonieux que la vie, Alphonse. Il n'y a pas d'embouteillages dans les films, il n'y a pas de temps morts. Les films avancent comme des trains, tu comprends ? Comme des trains dans la nuit.

La Nuit Américaine, François Truffaut,  1972

J'ai choisi cet extrait parce qu'il pourrait (presque) résumer le film. Dans cette séquence galvanisante (portée par la musique de Delerue), on nous montre les coulisses de la fabrication d'un film. Pourtant il ne s'agit pas de démythifier le cinéma, mais au contraire de nous en montrer toute la beauté.
La capacité qu'a Truffaut à nous transmettre sa passion est telle qu'on a envie de tout foutre en l'air et se barrer sur un tournage là, tout de suite.
Le film est ponctué de ces envolées lyriques, scènes qui s'élèvent haut sans jamais être pompières.
Car jamais Truffaut ne laisse en route la légèreté, l'humour, même ici où la scène se conclut par la voix de Bernard Ménez qui gratte l'apéro. Le film est ponctué de répliques géniales, drôles poétiques, passionnées ou les trois à la fois.
Et la plupart des scènes jouent sur ce double ton, amusé et sérieux (ce qui, au passage, retranscrit assez bien un tournage : "c'est sérieux, on joue"), comme la superbe scène où un petit chat doit aller lécher une assiette de lait. On refait, on rit, on râle, et puis finalement, le chat finit par donner quelque chose de plus beau que ce qui était prévu.

Quel film génial, quand même. 

Her, Spike Jonze, 2014



Difficile de tirer de ce pitch - dans un futur proche, un homme tombe amoureux d’un système d’exploitation - un bon film.
Spike Jonze, en bon spécialiste des scénars tordus ( Dans la peau de John Malkovitch, Adaptation ) s’y colle quand même, et on peut lui reconnaître cette audace. 


Il crée un univers assez intéressant, un futur proche possible, poussant à son paroxysme notre tendance à nous créer des ersatz numériques pour pallier notre incapacité à communiquer; lesdits ersatz, au lieu de nous rapprocher, ayant plutôt tendance à nous isoler. ( Univers qui rappelle un peu, en moins visionnaire, le superbe Kairo de Kiyoshi Kurosawa )

Pour ça, Spike Jonze "choisit" (en fait, il n’a pas vraiment le choix), de coller aux basques de son personnage principal incarné par Joaquin Phoenix. Ce point de vue totalement subjectif était nécessaire pour qu’on marche ne serait-ce qu’un peu dans cette histoire. Il faut aussi un excellent acteur pour qu’on partage le moindre de ses doutes, de ses sentiments, et Joaquin Phoenix fait le boulot, filmé constamment de très près.



Tout ça est là, et pourtant le film est un peu décevant. Par moments il est vrai assez bluffant, il se révèle à mon avis assez inégal, certaines situations me faisant complètement sortir de cette histoire. J’ai donc été rarement touché, ce qui est un comble vu l’armada mélancolique que déploie Spike Jonze : musique omniprésente, souvenirs silencieux en cut brefs, etc... En partie d’ailleurs parce que cette armada très “indé américain”, on commence à la connaître. Sur le style, on a un peu l’impression de revoir Lost In Translation ou Eternal Sunshine of the Spotless Mind (moins).

Sur le fond, il me semble aussi qu’il y a de gros problèmes. Le film n’aborde que de manière très superficielle cette relation avec une IA. Jonze occulte tout ce qui empêcherait cette histoire de nous toucher. Par exemple, cette IA, dont on essaie de nous faire tomber amoureux, ne se pose aucune question sur sa propre existence. Comment tomber amoureux sans exister? En fait, cette IA pourrait aussi bien être le fruit de l’imagination du héros, mais ce n’est jamais non plus exploité.

La relation avec le personnage de Phoenix est en fait assez malsaine à mon sens, mais n’est que rarement montrée comme telle : il l’a achetée, l’a installée, peut la débrancher dès qu’il le souhaite. Pour rester mignon, on occulte tout ce qui dérange, et tout ce qui fait la difficulté (et la beauté) d'une vraie relation.

Ceci étant dit, c’est un film intéressant, qui contient de bons moments, mais qui ne s’élève que trop rarement, peut-être écrasé par son pitch et les attentes qu’il crée.

Cimino : écho et prémonition

This is Vietnam all over again!

L'année du dragon, Michael Cimino, 1985.

La phrase que je cite ici n'est pas prononcée à ce moment-là du film, mais bien plus tôt. Pourtant, lorsqu'on voit ce plan, dans lequel le personnage joué par Mickey Rourke, portant sa veste de vétéran fumante, vient de sortir un cadavre calciné d'une voiture incendiée, le visage noirci, on est immédiatement projeté en arrière, et la phrase prononcée plus tôt revient. A ce moment Mickey Rourke et le spectateur sont au Vietnam.
Cimino n'a pas besoin de faire un vulgaire flashback pour nous faire partager ce retour d'un traumatisme.
C'est une des nombreuses forces de ce cinéaste : cette capacité à créer des plans ambigus, y compris temporellement. Un plan peut porter à la fois un sens présent, et une prémonition (comme dans toute la première partie du sublime Voyage au bout de l'enfer), ou un écho, une trace d'un passé révolu ( comme ici)

Prémonition



Sur ce plan de la première partie de Voyage au bout de l'enfer, on fête le départ de trois jeunes américains partis se battre pour la patrie. Mais ces trois portraits au mur évoquent aussi une cérémonie mortuaire en l'honneur de soldats morts au combat. Toute cette fête est traversée par ce pressentiment, cette tragédie future.

Echo



Dans le dernier acte de Voyage au bout de l'enfer, nous assistons à une scène conviviale autour de chopes de bières qui rappelle une scène de bar du premier acte (la dernière soirée des 3 soldats avant de partir). 
Il y a un effet d'écho avec la première scène, qui fait mesurer l'ampleur de la tragédie qui a eu lieu entre ces deux moments.
Il y a de nombreux exemples dans ce film, dont le dernier acte est une sorte de "miroir" du premier, c'est une manière magnifique de montrer que les mêmes moments n'auront jamais la même saveur, que rien ne sera jamais comme avant.

The Place Beyond the Pines, Derek Cianfrance, 2013



Dommage.

Le film a de très beaux moments de mise en scène (J'aime cette scène de moto dans les bois!), est techniquement très convainquant, et Cianfrance me paraît un très bon réalisateur. J'aime cette manière qu'a un personnage de venir "hanter" les deux dernières parties du film, à travers des objets que l'on touche, que l'on manipule, que l'on s'approprie. J'aime cette thématique très présente de la transmission (d'un père à un fils, du moteur aux roues).

Malheureusement, je n'ai jamais vraiment été pris par ce film, à cause de son écriture je pense. Cette ambitieuse construction scénaristique en trois parties, sa complication, entraîne un scénario très "technique" (ça doit être très compliqué d'écrire comme ça je pense). J'ai trouvé cette technicité trop visible, donnant à certaines situations un côté "forcé".

Cette lourdeur scénaristique et sa multiplicité de personnages ne permet pas de les approfondir suffisamment, on a donc un film qui émeut peu. En plus, il se trouve que le cinéma américain est obsédé par cette thématique de la paternité, de la transmission, et le film souffre de la comparaison avec, par exemple, le superbe Mud de Jeff Nichols, ou les films de James Gray (pour ne citer qu'eux)

Le film souffre aussi d'autres défauts. Je trouve Gosling à la limite de l'erreur de casting. Il faut arrêter d'essayer de vouloir nous faire passer ce type pour un badass, un mec dangereux. Il est très bon lorsqu'il s'agit de jouer le copain sympa qu'on aimerait bien avoir, il a une attitude cool qui fonctionne pour certains rôles. Mais non, il n'est pas capable de porter sur son visage une quelconque ambiguïté. A moins de le figer complètement comme l'a fait Refn dans Drive (qui joue, justement, sur sa tronche de good guy pour la maculer de sang sous notre regard médusé).

Le film vaut quand même le coup d'oeil, car sa mise en scène soignée offre de très beaux plans.

7 Psychopathes, Martin McDonagh, 2012


Martin McDonagh, c’est l’auteur irlandais qui avait écrit et réalisé le superbe In Bruges, trimballant une mélancolie terrible cachée derrière des (bonnes) blagues et des guns.
7 Psychopathes, c’est son deuxième film, et il s’est fait pas mal descendre par la critique à sa sortie, “du sous-Tarantino”, etc… Ce qui est vraiment ne rien comprendre au film. Mais j’y reviendrai plus tard.Donc, Seven psychopathes est un film complètement inracontable, mais sachez qu’on est un peu dans un délire à la Adaptation, c’est à dire qu’on suit les déboires d’un scénariste cherchant à écrire le scénario d’un film intitulé 7 psychopathes.Deuxièmement, le film est vraiment TRES drôle, notamment grâce à ses dialogues absurdes et son casting génial : Woody Harrelson, Colin Farell, Christopher Walken, et surtout Sam Rockwell vraiment parfait qui porte sur ses épaules une scène hilarante.
Mais comme dans In Bruges, le fim est traversé par une mélancolie trouble, McDonagh ne se fout pas de ses personnages, il les aime et leur donne vie (qu’ils soient psychopathes ou non!), et exprime un certain mal-être de l’écrivain, un doute permanent (qui fait rebondir le film sans arrêt), et aussi un amour de la narration, avec toutes ces scènes où un des personnages raconte une histoire.

Pour conclure, il ne s’agit pas du tout de “sous-Tarantino”, absolument pas. Ca me semble même être vraiment en opposition avec ce dernier. Pour McDonagh, il s’agit de déjouer les attentes du spectateur. Il ne vise pas la scène “jouissive” violente tant attendue, il la désamorce systématiquement, cherchant toujours à en faire quelque chose de plus beau. 
Ce qui le fascine, ce n’est pas la pulsion vengeresse et son exutoire (la partie sombre de l’être humain qui passionne Tarantino), c’est la beauté du sacrifice, la rédemption. Comme c’était déjà le cas dans In Bruges, c’est cette beauté-là qui tire le film vers le haut.

Et puis, bon, c’est vraiment super marrant, quoi. Réussir à faire un truc aussi fun et aussi touchant à la fois, chapeau. Tout ceux qui ont aimé In Bruges.... Foncez! 

The Grand Budapest Hotel, Wes Anderson, 2014


Pas de problème, le talent de Wes Anderson est au rendez-vous et est même poussé à son extrême: artifices et décors visibles, mouvements de caméras élégants, écriture méticuleuse des dialogues, cadrages de ouf (il s’adapte très bien au format carré 1:33), superbes gags visuels…

Il agrémente tout ça d’un énorme foisonnement narratif (on pourrait même dire une certaine boulimie), assez inhabituel chez lui, et surtout il abandonne la langueur et le spleen, cette douce déprime dans un bain chaud, pour miser sur le rythme. Ca bouge tout le temps.

Bon. Voilà. Ca c’est à peu près ce que dit tout le monde sur le film en l’encensant (et j’approuve), en le trouvant génial machin tout ça.

Mais moi je m’arrête pas là, chuis un ouf, c’est pas parce que j’ai passé un bon moment que je vais juste dire “c’est génial”. J’emmerde le consensus. Sauf sur Jeff Nichols.

Donc voilà, cette très bonne pâtisserie est tout de même un peu trop riche et sucrée, à force d’en mettre beaucoup, on frôle l’indigestion (frôle, hein), le trop-plein. Ca ne m’avait que moyennement dérangé dans Le loup de Wall Street, parce que ça servait habilement un propos. Et puis ça durait pas seulement 1h40. Je veux dire : si en 2h40, je ressens ça, c’est presque “normal”, sur 1h40 j’ai un peu l’impression de manger un gâteau à la crême, avec de la meringue, recouvert de chantilly, en sprintant.

L’autre “problème”, c’est que du coup tout est assez superficiel, et notamment les personnages, complètement désincarnés; ils se résument à une seule dimension et un chouette déguisement. On voit des acteurs avec des moustaches, quoi. C’est assez gênant car comment être ému? Heureusement il y a les deux personnages principaux, qui, eux sont très soignés et assez touchants.

En bref : une chouette comédie, très inventive, subtile, mais un peu trop riche à mon goût. Mais c’est aussi sa qualité. On s’en sort pas. Je vous conseille d’aller le voir pour pouvoir venir me contredire. Ca sera bien. 

Le vent se lève, Hayao Miyazaki, 2014

Bon, alors ça risque d’être un peu décousu… Certains souvenirs du film me font encore monter les larmes aux yeux. Ah bordel…
Donc, ce film est splendide, voilà. 

On peut le résumer à l’histoire d’un homme qui passe sa vie à poursuivre un rêve au lieu de la vivre. Quelqu'un sur vodkaster a dit “splendide fresque du regret”, c’est exactement ça. 

Evidemment, techniquement c’est très beau. Sur le plan purement narratif il faut passer un début de film au rythme assez erratique parce que troué par les rêveries de son personnage principal. Certains resteront sur le carreau, mais il faut tenir. D’abord parce que quand-même, Miyazaki ne fait rien comme tout le monde - une scène de tremblement de terre qui renvoie tous les blockbusters pleurer leurs mères; Ensuite, car le plus beau reste à venir.


Avec un avion en papier, deux balcons, et deux amoureux qui se retrouvent enfin, Miyazaki imagine une scène superbe, dans laquelle le rythme et les évènements sont vécus par le spectateur aussi fort qu’ils le sont par les personnages. Une scène très lyrique, succession d’émotions vives contradictoires, “filmée” (dessinée) comme une scène de suspense. A ce moment du film j’ai les yeux tout mouillés et ça durera jusqu’à la fin du film.


Son oeuvre “testament” Miyazaki, la termine avec ces mots : “vis ta vie”, et signe un film qui n’explore les territoires du rêve (son terrain de jeu habituel) que pour nous exhorter à ne pas nous y perdre.

Parce que le vent se lève, et qu’il faut tenter de vivre. 

Et je chiale.