Quelques films d'octobre

Ca fait un moment que je n'ai pas eu le temps d'écrire un papier un peu long sur un film, alors voici quelques notes rapides sur quelques films vu au mois d'octobre...


Sicario, de Denis Villeneuve, vaut surtout pour ses trois premiers quarts d'heure, intenses et suffocants, avec en apogée une scène de tension à un péage d'autoroute extrêmement réussie. Le hic c'est que Villeneuve ne sait pas trop quel film il veut faire, et que passée cette introduction en forme de gros film de genre stylisé (le Mexique réduit à un enfer et les trafiquants à des zombies), Villeneuve semble vouloir faire deux autres films, beaucoup moins réussis : une histoire de vengeance qui échoue complètement à générer une quelconque catharsis, et un film plus acceptable pour les festivaliers, un film réaliste sur le monde qui va mal, prout prout. Une fois le resserrement du point de vue à celui de son héroïne et la perte de repères occasionnée abandonnés, c'est l'ennui. 




The Visit, de M.Night Shyamalan, est vraiment un joli petit film, dans lequel ce dernier prend à contrepied les attentes de son public (venu chier dans son froc devant une énième production Jason Blum). Si Shy est limité par le dispositif du found footage, il choisit de s'en amuser, et génère une comédie étonnamment méchante par moment. Il réussit à l'intérieur de plusieurs séquences à générer une hésitation entre le rire et la peur et interroge constamment cette frontière. A ce titre, la scène hilarante où le gamin rappeur imite sa grand-mère prise d'une étrange crise de somnambulisme effrayante, est éloquente. En fait c'est à Sam Raimi qu'on pense ici, mêlant humour, peur, et dégueulasserie potache (la couche de caca!). C'était vraiment cool !



L'homme irrationnel, de Woody Allen. Qu'il est brillant ce film, une merveille de comédie noire, de rythme et d'ironie. Un film qui coule tout seul, et dans lequel Woody Allen réussit à atteindre un équilibre rare dans sa "tendre cruauté", extrêmement ironique sans jamais se livrer à un jeu de massacre cynique. Comme celui de Shyamalan, c'est un beau "petit film", par un cinéaste détendu, aux talents de narration immense.



Crimson Peak, de Guillermo Del Toro. Une créativité visuelle impressionnante, qui vaut à elle seule de jeter un œil au film, dont les apparitions fantomatiques, les machines, et ce manoir gothique transpirant le sang sont très beaux. Par contre d'un point de vue de la narration c'est très laborieux (surtout quand on vient de s'envoyer les deux films précédents), et le romantisme affiché ne vibre jamais vraiment, il semble plus là pour générer de belles images que l'inverse. C'est assez chiant au final comme film. Dommage !



It Follows, David Robert Mitchell, 2014


Qui aurait cru que David, Robert et Michel, les trois quinquagénaires qui honorent de leur présence de 10h du matin à 22h la terrasse du "PMU des super vedettes" (sic), soient fans de John Carpenter et réalisent un hommage aussi appuyé à leur idole?

Dès les premiers plans, nos trois joyeux drilles inscrivent leur film dans la lignée de Big John, avec cette ambiance automnale de suburb américain aux pelouses soignées, et ce mélange de tristesse et d'angoisse qui accompagne une adolescente qui court en short. Quelques notes de synthétiseur, lancinant et mécanique, accompagnent sa course et confirment le pedigree du film : un mal abstrait, qu'on ne voit pas, qui avance inexorablement.

Sans doute échaudés par le pastis, DRM (appelons-les ainsi désormais), choisissent un de ces scénarios quasi infilmables, dont la réussite va dépendre uniquement de la mise en scène : une espèce de MST dont les symptômes se résument à être poursuivi par un être multiforme, qui avance lentement et inexorablement vers vous pour vous tuer. Et il faut dire que la mise en scène répond présente : l'angoisse est permanente, elle imprègne la pellicule et accorde peu de moments de répit, sans aucun artifice de scénario ou presque. 


It Follows est de ces films d'horreur qui génèrent un malaise assez tenace un moment après le film, et c'est déjà beaucoup. Car il trimballe avec lui une "idée de la peur", presque théorique. Malheureusement, les DRM ne sont pas des maîtres de l'horreur, capables comme Carpenter ou Polanski, de créer leur propre  univers, ils se contentent d'imiter leurs aînés, avec un certain savoir-faire mais sans malheureusement leur sens de l'épure. Leur caméra est souvent trop visible, comme s'ils étaient obligés d'affirmer plus fort leur style pour échapper à leurs influences.

Il y a également dans l'ambiance du film, quelque chose d'assez proche du Kyoshi Kurosawa de Kairo. Dans les apparitions tout d'abord, ces êtres en décalage avec l'environnement, qui avancent vers vous en vous fixant. Mais aussi dans le portrait déprimant de la jeunesse, leur côté éteint, leur incapacité à se connecter, à jouir : une ambiance de fin du monde qui, détail intéressant, laisse les parents hors-champ, comme pour isoler ces jeunes dans leur angoisse de la sexualité, thème principal du film.


C'est un paradoxe qui empêche It Follows de remporter totalement mon adhésion : le style est superficiellement trop marqué, et simultanément il manque une idée profonde vraiment personnelle. Et en même temps, comparativement aux autres films d'horreur qui réalisent des cartons au box-office (James Wan), ça parait génial...

Creep, Patrick Brice, 2014



Jolie surprise que ce petit film, que j'ai regardé par hasard en croyant qu'il s'agissait du premier film (homonyme) de Christopher Smith.

Le film se présente d'emblée comme un found-footage : un homme se filme alors qu'il se rend dans les montagnes après avoir accepté un mystérieux job de vidéaste pour une journée. Il fait alors la connaissance de Josef, son employeur, enthousiaste et étrange, qui lui révèle la vraie nature de sa mission. Josef est malade et n'a que quelques mois à vivre. Il souhaite qu'Aaron le filme pour laisser un témoignage à son enfant à naître...


La première force du film est son écriture redoutable : elle maintient le spectateur dans une intrigue minimaliste à l'aide de détails réalistes, et apporte par petites touches de nouvelles facettes du fascinant personnage de Josef, interprété de très belle manière par un certain Mark Duplass. L'acteur occupe le cadre pendant l'écrasante majorité du film et est capable, sans en faire des caisses, de teinter son espèce d'enthousiasme exagéré (il court en permanence et arbore un sourire franc), d'une inquiétante perversité. Le jeu avec le ridicule le rend aussi souvent assez drôle, mais toujours avec un certain malaise.

Le sympathique Josef

C'est avec habileté que le film fait franchir au spectateur plusieurs frontières : de prime abord, le malaise naît surtout de la bizarrerie de la situation. Comme Aaron le vidéaste, on est touché par ce qui arrive à Josef, ce qui lui permet de nous entraîner plus facilement sans des séquences pour le moins étranges : comme celle du bain, qui déplace toute l'attention sur la personnalité de Josef. Est-il seulement un peu original? Troublé par sa mort prochaine? Drogué? Ou complètement cintré?

D'un point de vue de la mise en scène, il est évident que si le procédé du found-footage apporte son lot de frissons, il est toujours difficile de s'y tenir de manière rigoureuse sans faire sortir le spectateur du film à cause de son manque de crédibilité ("Pourquoi filme-t-on ça?"). Ici le film se tire plutôt bien de cette embûche (pas toujours), et créée tout de même quelques beaux plans construits (comme celui de l'affiche).

Il faut souligner aussi la jolie manière qu'a le film de rebondir dans sa dernière partie, et de changer de genre pour en adopter un rarement associé au found-footage : le home-invasion, avec quelques jolies idées.

Pas mal du tout.


Black Book, Paul Verhoeven, 2006


Au sein de son magnifique Black Book, Paul Verhoeven se permet un clin d'œil malicieux à sa propre carrière de contrebandier à Hollywood. Dans cette scène la femme juive interprétée par Carice Van Houten est cachée par une famille catholique dont le père l'oblige à prier avant le repas.
Il y a dans ce sourire de façade et le barbouillage qui suit toute l'insolence de Verhoeven lorsqu'il détourne ce qui devaient être des actionners bourrins pour en faire des brûlots, au nez et à la barbe des studios (Robocop, Starship Troopers)

Mais si Black Book est une oeuvre encore supérieure à ces dernières, c'est justement parce que Verhoeven abandonne ici l'outrance et l'ironie pour une oeuvre historique de facture plus classique, mais grandie par son talent inné de narrateur, et son refus du manichéisme.

Verhoeven s'y montre tout à fait à l'aise en empruntant à tous les genres, du film d'espionnage hitchcockien, à la romance impossible, le tout relevé par son sens inné de l'ambiguité.

C'est dans sa séquence finale, en écho à une des premières, que le film gagne à mon sens son statut de chef d'œuvre, Verhoeven nous donnant ni plus ni moins que sa vision d'un résumé du XXème siècle : une femme courant sous les bombes.

Mad Max Fury Road, George Miller, 2015


Si la déflagration que représente ce Mad Max dans le paysage du blockbuster actuel met en évidence la médiocrité de la concurrence, elle est aussi due à ses grandes qualités cinématographiques.

Le retour de George Miller sur la saga qu'il avait créée à l'orée des années 80 se fait en grand (un budget de 150 millions quand même*), et Miller en profite pour déchaîner toute la folie baroque permise par son univers post-apocalyptique. L'audace de Miller à la tête de ce projet pharaonique fait plaisir à voir, tant il prend tous les risques esthétiques possibles. Déjà spécialiste des ballets mécaniques et des cascades "en dur", Miller ne tourne pas le dos aux possibilités qu'offre le numérique en termes de spectaculaire (une poursuite dans une tempête de sable absolument superbe), et d'imagerie : le film a sa photographie propre, très contrastée, pour un résultat parfois discutable mais qui a le mérite de donner au film une vraie singularité visuelle.


C'est avant tout sur le plan de la narration visuelle que Miller se montre impressionnant : le spectateur est jeté dans un univers qu'il ne comprend pas (jusqu'au langage que progressivement on apprend) via le personnage d'un Mad Max prisonnier. Passée cette courte introduction, c'est à une immense poursuite à laquelle nous allons assister, une succession de scènes d'action impressionnantes, à l'intérieur desquelles Miller, maître du rythme à l'aide d'un découpage et d'un montage à la musicalité superbe, parvient à caractériser des personnages, à mettre le spectateur en empathie avec eux, et affine la description de son univers foisonnant (via le fanatisme des guerriers d'Immortan et leurs rites étranges).
Maître du rythme aussi parce qu'il sait réserver des pauses au spectateur, ne pas l'épuiser, et que ces pauses sont l'occasion de plans magnifiques, libérés de l'intrigue (un Mad Max enseveli se déterrant peu à peu, la traversée d'un marais à l'ambiance presque fantastique)


Le traitement réservé au personnage de Max, son héros, est un des points surprenants et réussi du film. Après une introduction nous le présentant en badass hanté par les remords, iconisé, il est fait prisonnier très facilement (comme un pied de nez de Miller), et va passer une bonne partie du film attaché, puis éclipsé par le charisme de Furiosa (Charlize Theron iconisée à jamais), à qui il laissera même les commandes. Il sera aussi fréquemment utilisé dans un registre comique, le jeu de corps bestial et les grognements de Tom Hardy aidant. Cela résume assez bien le regard distancié que Miller porte sur sa saga, en poussant le curseur beaucoup plus loin dans le registre de son imagerie, jusque dans ses éléments les plus grotesques (le masque d'Immortan), il fait preuve de la bonne dose d'humour nécessaire pour qu'on accepte ce déchaînement visuel et pyrotechnique.


Mais au-delà de ce regard amusé, il y a bel et bien de vrais élans tragiques qui parcourent le film. Miller ne pratique pas l'autoparodie, et le destin de ses personnages lui importe (et du, coup, au spectateur aussi). C'est bien l'humain qui importe dans Mad Max, la survie d'une poignée d'humains face à une menace énorme. A l'intérieur de ses poursuites Miller prend même le temps de créer une belle romance, donnant quelques plans d'une délicatesse folle (une caresse, un regard). Si Max est attaché ou relativement effacé, c'est aussi parce que Miller en fait le témoin d'une légende : la fin d'un roi et l'avènement d'un autre (lire cet article), la libération d'un groupe de femmes exploitées, et finalement celle d'un peuple, inscrivant ainsi son film comme un épisode d'une plus vaste mythologie.

Grand film, de ces blockbusters qui restent, comme trop rarement la machine hollywoodienne en produit.

* ce qui est finalement inférieur de 100 millions au budget du dernier Avengers, dont j'ai déjà oublié quasiment la totalité.

Jauja, Lisandro Alonso, 2015


Sur la grille de bingo du cinéma de super-auteur, Lisandro Alonso coche toutes les putains de cases, bravo à lui! Format inusité, longs plans fixes composés et éclairés avec soin, dessèchement déceptif d'un genre (pour faire genre), travail sur le hors-champ, ... tous les chapitres du manuel. Je dois dire que je le sentais un peu venir. Mais un ami à moi (secrètement amoureux de l'excellent Viggo Mortensen) m'a convaincu d'y aller.

Malgré cette impression de connaître le film à l'avance et cette peur viscérale de me faire chier comme un rat décédé, je me suis pointé au diago montpellier, bon pied, bon oeil, après avoir passé cinq bonnes minutes dans les toilettes à me balancer des claques dans la tronche pour me motiver (Ca ravive mon teint de pêche aussi) en m'encourageant dans le miroir. 
On pourrait croire ici que j'avais décidé à l'avance de détester le film, mais non, je ne suis pas comme ça, j'aime même certains des films auxquels je fais référence ci-dessus, et c'est donc plein de bonne volonté que j'entame le film, me pinçant le bras jusqu'au sang pour être sûr de pas pioncer.


Le premier abord est tout à fait agréable, la photographie et la lumière sont superbes, les sons de la nature de ce bord de mer, bien mis en évidence par les longs silences ( check! ), nous immergent dans une ambiance agréable.
Assez vite on déchante : la mise en scène d'Alonso est tout simplement insupportable, tant elle surjoue une (fausse) radicalité à base de longs plans fixes (check!), dont la durée excède toujours de quelques minutes ce qu'un être humain normalement constitué peut supporter avant de buter quelqu'un. Cette dilatation du temps ici, ne génère rien d'intéressant, ni la torpeur suave de Tabou de Michel Gomes (cochant allègrement un paquet de cases lui aussi), ni les effets de sidération incroyables des apparitions dans Oncle Boonmee (de Apichatong wehee.... rehza...wehe... Un thailandais).
Ici, on ne pense qu'au mec derrière la caméra, chronomètre à la main.

Ah ouais, tiens, le toutou, je l'avais zappé le toutou. Hommage à Kevin Costner

D'autant que dans le cadre c'est la fête du slip, aussi : les personnages posent constamment, placés de manière millimétrée, figés, récitant des dialogues énigmatiques (check!), regardant au loin des choses qu'on ne nous montre pas (check!), se parlant en regardant dans des directions différentes (check!).

Comme je suis un acharné, j'ai fini par trouver de belles scènes de cinéma dans Jauja, notamment celle où le ciel étoilé surplombant notre héros endormi est progressivement dévoré par les nuages, où une scène lynchienne dans une caverne avec une vieille maboule, faisant basculer le film de la trivialité totale (soldats qui se branlent tranquillou dans des mares - plan durant 7min42s, j'ai chronométré), à une quête mystique.

La toute fin du film est aussi l'occasion d'une belle surprise, que je qualifierai volontiers de lynchienne. Mais bordel je vais revoir Lost Highway 52 fois avant de revoir ce film-là.

Dear White People, Justin Simien, 2015


Difficile de cerner ce qui fait exactement la réussite de Dear White People. Si l'on cherche à décomposer, on parlera de la finesse des dialogues, le film pouvant presque se résumer à une suite de joutes verbales pleines de vivacité. Des dialogues truffés de références (de la trash TV à Bergman), qui sont autant d'occasions pour les différents personnages de briller - et chacun aura son bon mot.
Cet équilibre dans la manière de traiter les personnages permet au film d'éviter le manichéisme que le sujet du film aurait pu trimbaler, et imprime le bon ton au film : j'y reviendrai plus tard.

L'utilisation de la musique est un des ingrédients les plus savoureux également : ces joutes verbales sont baignées de musique, le plus souvent feutrée, musique de chambre ou jazz suave et discret, et ce quelle que soit la violence des propos échangés, remettant toujours en cause leur réelle gravité, et imprimant au film une chouette légèreté pleine de classe.


C'est ainsi que Justin Siemen imprime au film son ton, impliqué mais léger, classe mais pas prétentieux, et traite le thème du communautarisme. Il me semble qu'au lieu de simplifier le problème, il en montre toute la complexité. Comment exister en tant qu'individu lorsqu'on ne se reconnaît dans aucune des communautés? Comment exister en tant qu'individu au sein même du groupe? Ces communautés peuvent-elles se rencontrer? Par la révolte, par l'amour?

Le tout enrobé d'humour et de charme. Beau film.

Inherent Vice, Paul Thomas Anderson, 2015


Le film de Paul Thomas Anderson est superbe pendant à peu près une heure et demie. On se perd dans les méandres de son intrigue fumeuse au gré des connexions logiques étranges et paranoïaques de son personnage principal, sorte d'ancêtre du Big Lebowski des Coen, détective privé défoncé du matin au soir. Le film est par moments hilarant, et offre des moments de mélancolie parfois magiques (la scène de flash-back superbe dans laquelle les deux amants, guidés par un plan foireux fourni par une planche ouija, sortent sous la pluie battante pour toucher de l'herbe).
Le ton du film est quand même triste, PTA filme la fin de l'utopie des années 60, et des personnages qui courent après un passé révolu. L'idée de la dégénérescence parcourt le film comme l'ombre de Charles Manson et sa secte. 


Anderson pense que son talent et celui de ses acteurs vont suffire à garder le spectateur captif malgré l'intrigue volontairement incompréhensible qu'il filme et je me suis laissé embarquer avec un énorme plaisir pendant un temps. Mais le film finit par ennuyer profondément entre les meilleures séquences. Finalement, on se prend à se demander si un producteur casse-couilles ne ferait pas du bien à cet auteur qui semble parfois se désintéresser un peu du spectateur.

Il reste cette ambiance, qui restera longtemps, et des séquences très marquantes, qui valent sans problème le coup d'oeil.

Réalité, Quentin Dupieux, 2015

Alain Chabat prépare sa prochaine carrière dans la chanson avec abnégation

Réalité semble être l'occasion pour Quentin Dupieux de régler leur compte aux films qui l'ont le plus influencé. Le film est traversé par ces influences 80's (Poltergeist, Twin Peaks, les premiers Cronenberg, Lost Highway). 

C'est lorsque Dupieux choisit l'angle de la comédie pour tenter de détourner ces références, voir de les parodier, qu'il crée les meilleures séquences.

Il est bien aidé en ça par la présence de Chabat et Lambert, qui offrent au film leur sens du timing et du flottement dans la meilleure séquence du film, dans laquelle le premier vient présenter au second, producteur, son projet de film. La séquence est entièrement basée sur la manière dont ces personnages interagissent avec l'univers absurde de Dupieux. Le personnage de Lambert alimente continuellement l'absurdité, celui de Chabat la subit sans broncher, tout en douceur et en coolitude. Dupieux fait preuve de maîtrise dans sa gestion du rythme : belle longueur de plans pour mettre en place la séquence puis ellipses une fois une certaine "cohérence" installée.

Ce "Dis-donc, tu dessines très mal" m'a donné un putain de fou rire

Mais le film finit quand même par agacer, car le parti-pris que je décris plus haut n'est pas tenu durant tout le film. Lorsque Dupieux sort de la comédie et cherche à rendre tout ceci inquiétant, vertigineux, il est totalement écrasé par ses maîtres. Tout le monde n'a pas le pouvoir de fascination de Cronenberg ou Lynch...

Le film reste très malin et par moment très surprenant mais laisse un peu indifférent et donne cette impression de vacuité malheureusement récurrente chez Dupieux.

Vincent n'a pas d'écailles, Thomas Salvador, 2015


Quelques mots sur ce chouette petit film, un de ces films qui me font penser que son auteur peut difficilement être un total connard. C'est ce que je me suis dit en sortant "ça doit être un chouette type Thomas Salvador".
Mais que tout ceci est passionnant.

Parlons donc du film, qui est une tentative vraiment intéressante, une relecture par un auteur français sans pognon du film de super-héros. Avec en ligne de mire particulièrement (il me semble), le Spiderman de Sam Raimi, dont il revisite un des plus célèbres plans (un baiser tête-bêche)...
Nous sommes dans les Alpes de Haute-Provence. Vincent est un homme qui passe le plus clair de son temps à nager, ou à travailler sur des chantiers. Vincent a un secret : un super-pouvoir, dont je ne dévoilerai pas la nature, tant le film se plaît à nous la faire découvrir par petites touches subtiles. Un jour Vincent rencontre la belle Lucie et c'est le début d'une jolie histoire d'amour...

Le super-pouvoir, ici, n'implique pas forcément de "grandes responsabilités", déjà parce qu'il n'est pas si utile que ça, et parce que c'est le choix de Thomas Salvador d'en faire quelque chose d'à la fois assez anecdotique et merveilleux. Ce pouvoir est surtout source d'enchantement et de drôlerie, comme lors de la très belle scène dans laquelle Vincent le révèle à Lucie, estomaquée et amusée. Le montage qui suit, qui nous montre Lucie posant toutes les questions que les films de super-héros ne posent jamais par peur de bousiller la "suspension d'incrédulité" (comme y disent), est aussi un beau moment comique enjoué.
La source de ce comique c'est souvent la difficulté qu'ont les personnages du film à suspendre leur incrédulité d'ailleurs. Ils faut voir la difficulté qu'ils éprouvent à employer des mots ridicules comme "Pouvoir", hésitant souvent à l'employer pour ensuite se reprendre. Ce qui rappelle d'ailleurs la réticence d'un des personnages de l'excellent "The Battery" à prononcer le mot "Zombie".

La jolie séquence discrètement féérique que voilà!

Cette belle précision des dialogues est d'autant plus efficace qu'ils sont extrêmement rares. Une bonne partie du film est muette, et le cinéaste semble avoir beaucoup de goût pour cet exercice, qu'il s'agisse d'une rencontre amoureuse pendant laquelle les amoureux se retournent à tour de rôle mais sans que leurs yeux se croisent, ou d'une course-poursuite avec la maréchaussée, autant de très beaux moments de burlesque. Les excellents trucages "en dur", visent plus à provoquer un émerveillement un peu désuet qu'à impressionner, et ils y parviennent avec humour.

Il est vrai que l'extrême humilité de l'ensemble frôle le manque d'ambition (je préfère ça que l'inverse), mais Thomas Salvador a quand même un certain panache. Et, cerise sur le gâteau, le charme absolument dévastateur de l'interprète féminine principale.

Foxcatcher, Benett Miller, 2015


Le film de Miller, quoiqu'un peu froid, est passionnant et assez insaisissable, mystérieux car tout en se basant sur la psychologie de ses trois personnages principaux, il n'en explicite que très peu la complexité, ces trois personnages étant tout en intériorité.

Il y a d'abord ces frères, dont la relation est superbement résumée par une des premières séquences qui les unit : une séquence de lutte, dans laquelle l'échauffement et les prises tiennent lieu d'accolade, de témoignage d'affection, jusqu'à ce que la situation se tende et tourne à l'affrontement. Non seulement Miller se montre doué pour rendre ce sport beau (ce qui n'est à mon avis pas gagné), mais il parvient à travers ce court moment à nous décrire ses deux personnages à travers leurs corps, et leur manière de s'en servir. Mark Ruffalo est comme souvent impressionnant, troquant son habituelle féminité, pour quelque chose de beaucoup plus simiesque, le buste voûté sur ses grands bras. Quant à Tatum, il est également très bien, enfant de 10 ans prisonnier dans un corps massif, presque grotesque (quand il sautille sur le tank que vient d'acheter Du Pont par exemple).



Et puis il y a le riche Du Pont. Le personnage rappelle par certains côtés le personnage de gourou interprété par Philip Seymour Hoffman dans le déroutant The Master, notamment lorsqu'il fait répéter à son protégé la litanie absurde le décrivant : "ornithologist, philatélist, philantropist". Mais plus encore que dans le film de Paul Thomas Anderson, c'est la dualité comico-horrifique de sa folie qui nourrit l'interprétation géniale de Steve Carell. Le caractère aléatoire de ce personnage se résume à une des premières phrases qu'il prononce : "I'm an ornithologist, but overall I'm a patriot.". Le trésor que fournit Carell au film, c'est ce comique détraqué (pas de gags, pas de chute), son visage d'oiseau à la fois grotesque et effrayant, ses postures étranges. Mais c'est aussi une tristesse infinie qui se lit sur son visage ou dans ses actes détraqués.


On peut lire aussi le film comme un portrait de l'Amérique de Reagan à travers le patriotisme fou de Du Pont, cette obsession de la réussite et des flingues, cette folie qui n'est pas analysée comme telle par l'entourage de Du Pont. Les responsables de l'équipe olympique de lutte la confient à ce fou en échange de centaines de milliers de dollars... Et le film se termine sur ces cris : "U.S.A! U.S.A!". 

Bad Lieutenant, Escale à la Nouvelle Orléans, Werner Herzog, 2009


Remake ou pas, chacun en jugera, toujours est-il que le film d'Herzog trouve indubitablement sa raison d'être, se construit presque en opposition à celui de Ferrara. Et je dois dire que je préfère cette version d'Herzog à celle de Ferrara.

Le film s'ouvre sur une scène dans laquelle le personnage principal incarné par Nicolas Cage, montré immédiatement comme sans scrupules, et son collègue policier, sont face à un prisonnier sur le point d'être noyé. Le policier McDonagh choisit de sauver le prisonnier, et y laissera une partie de lui-même : il se blesse et ne doit qu'à la vicodine le fait de continuer à exercer son métier.

Contrairement au film de Ferrara qui raconte plus ou moins la quête de rédemption (avec force symboles chrétiens) d'un flic corrompu à tous les sens du terme, le film d'Herzog se révèle immédiatement extrêmement cynique sur cette idée de rédemption : elle n'a apporté à cet homme qu'une infirmité que Cage affiche dans son jeu tout le film, l'épaule gauche tordue, et une addiction furieuse à tous les types de drogues qu'il peut trouver sur son chemin.



Le film prend alors la forme d'une déambulation, Mc Donagh tourne en rond. Une affaire de meurtre horrible se présente sur son chemin : sera-ce l'occasion pour lui d'y trouver une rédemption? On le croit tout d'abord, mais c'est surtout pour rester en vie qu'il va devoir s'employer. Les scènes se répètent (bookmaker, saisie de drogues, interrogatoire des mêmes personnes), et comme le spectateur est amené à tout voir par les yeux de ce personnage, le film prend la forme d'une hallucination.

Chaque scène vient placer la folie un cran plus haut que la précédente, toujours plus drôle (car oui, Herzog a du mal à prendre tout ça bien au sérieux contrairement à Ferrara), toujours plus dingue. Nicolas Cage laisse libre cours à sa folie et à son talent, perdant le spectateur dans le caractère aléatoire de sa folie stupéfiante.
Une ambiance post-apocalyptique règne, notamment par l'intermédiaire des reptiles, motif récurrent qui semble halluciné par le personnage principal. Pour ces plans, Herzog opère une rupture dans sa mise en scène : le régime d'image est complètement différent, plus proche du reportage (seraient-ils au contraire les seuls éléments "réels" venant perturber une hallucination?)


Si l'ironie est omniprésente dans le film et pourrait lasser, elle n'est ici qu'un motif d'amusement et pas d'acharnement sur ses personnages. Les deux personnages principaux (McDonagh et sa copine prostituée) se révèlent même très attachants, perdus dans cet univers violent et absurde.
Le film d'Herzog est donc un vrai plaisir, une succession de scènes "What da fuck?" qui montent en puissance. Fun!

Pasolini, Abel Ferrara, 2015


Bon déjà je ne connais ni le cinéma ni les écrits de Pasolini, mis à part un scénario inachevé que j'avais eu l'occasion de lire dans les Cahiers, et auquel Ferrara accorde une bonne partie de son film. Mais à part ça, peau de zob. 
Du coup ceux qui chercheront à savoir si le film de Ferrara est fidèle à l'oeuvre de Pasolini ne trouveront pas la réponse ici!

Le film de Ferrara est un film radical dans sa forme, qui explose complètement les codes du biopic traditionnel. Ferrara s'intéresse à la fin de la vie de Pasolini, et notamment à Pasolini l'écrivain. C'est là que le cinéaste se montre très doué : son montage tout en fondus et surimpressions nous fait passer des mots de la bouche de Pasolini aux mêmes mots prononcés par un autre narrateur, puis à la même histoire filmée par Ferrara. C'est dans ce dialogue superbe entre les mots et l'image, les aller-retours, et même les redondances que le film est passionnant.
Cette démarche permet de fusionner complètement la vie de Pasolini et son oeuvre, procédé certes pas nouveau mais réalisé ici de main de maître.

Un Willem Dafoe de grande qualitay

Ce qui frappe, c'est aussi la faible part accordée à la partie la plus scandaleuse de l'oeuvre de Pasolini. Le film s'ouvre sur des scènes de tournage de Salo, mais cette partie sulfureuse sera assez vite expédiée pour dessiner le portrait d'un intellectuel inquiet mais plein de douceur. On pouvait craindre que Ferrara, parfois pas très subtil, se vautre un peu là-dedans sans finesse.

Mais la mise en scène de Ferrara est tout simplement envoûtante : les mouvements sont lents et élégants, le son des voix est délicieux, Pasolini est fréquemment iconisé, qu'il s'agisse de ses derniers mots lors d'une interview ou de trajets en voiture dans les bas-fonds de Rome. Mais en reliant le discours de Pasolini dans une interview à sa mort, le film lui donne raison ("Tous bourreaux, tous victimes") tout en portant un regard dénué de complaisance sur l'acte de consommation qu'il commet lui-même.

Un superbe film, qui donne à la fois envie de découvrir l'oeuvre de Pasolini et de se repencher sur l'oeuvre de Ferrara.