French Connection, William Friedkin, 1972


J'avais vu French Connection gamin, j'en gardais un très bon souvenir un peu vague. A la revoyure, j'ai pris une bonne patate dans la tête, nom d'un petit bonhomme. Miladiou. Et même: fichtre, tiens.
Le film met en scène deux flics new-yorkais aux prises avec un réseau de trafic de drogue venant de Marseille.

Le personnage principal, interprété par Gene Hackman, est un personnage très seventies : c'est un flic borderline, raciste et violent. Ce personnage, comme ceux du Convoi de la Peur (le remake du Salaire de la Peur réalisé par Friedkin, les deux films sont géniaux), traîne derrière lui une erreur qui a coûté cher (un péché), et s'accroche à cette affaire en espérant y trouver une rédemption.

Difficile de parler du film sans parler de sa partie centrale, une immense séquence de filature qui accélère constamment pour déboucher sur une poursuite à pleine vitesse, un morceau de mise en scène vraiment impressionnant, pendant lequel "Popeye" devient peu à peu fou. Dans ce passage on le suit, seul, dans un véritable purgatoire. Comme dans le Convoi de la Peur on sent parfois une présence maléfique, ricanant de ses échecs, comme lorsqu'il rate de peu la rame de métro dans laquelle s'est enfui un des "froggies", un plan superbe depuis la rame s'enfonçant dans un tunnel, avec une montée de violons semblable à un rire sinistre.

Marcel Bozzuffi, le Michael Ironside français

On a souvent parlé du style "documentaire" de Friedkin pour ce film (lui le premier, il dit s'être inspiré du Z de Costa-Gavras, auquel il pique Marcel Bozzuffi). En effet, il utilise une mise en scène assez moderne : caméra portée, des zooms pris de très loin, panoramiques d'un personnage à l'autre pendant les scènes de poursuite, et une photographie granuleuse qui font paraître ces images prises sur le vif, dans la rue. Le montage est aussi très sec, coupant même parfois les scènes au milieu d'une phrase. Des choix assez radicaux mais dans lesquels Friedkin ne s'enferme pas : comme dit plus haut, il arrive aussi à créer une ambiance presque fantastique, notamment par son utilisation de l'excellente BO, et soigne ses scènes de poursuite avec style.

Cette manière de filmer l'action, à la fois stylée et réaliste, et cette manière de définir ses personnages par l'action, fait du film un exemple dans ce domaine, sûrement une inspiration pour la mise en scène "à la Paul Greengrass" qu'on voit partout aujourd'hui (pour le meilleur et pour le pire). Mais le film est surtout encore une fois l'écrin de la vision ultra pessimiste de Friedkin, refusant toute idée de rédemption, de changement de ses personnages, à contre-courant de l'histoire du cinéma américain classique.



Michael Ironside, le Marcel Bozzuffi américain

Quelques extraits de l'excellente BO du film : 


The Immigrant, James Gray, 2013


Que s'est-il passé sur ce film? La magie de James Gray, qui réussissait à transformer un banal triangle amoureux en une tragédie (Two Lovers), semble ici éteinte. La gravité du sujet (la triplette un peu lourde immigration, maladie, prostitution) faisait peur, et en effet Gray ne parvient pas vraiment à s'en extirper, à transcender le genre du mélo et ses clichés, un peu engoncé aussi dans la reconstitution historique.

Pourtant la finesse de mise en scène est bien là (j'applaudis la pudeur avec laquelle Gray filme les malheurs de son héroïne), tout est plutôt correct , mais ne décolle jamais. Je déplore un peu les choix de casting. Jeremy Renner, qualifié plusieurs fois de "beau gosse" dans le film, est plutôt moche avec sa gomina et sa moustache : ça en devient drôle, et Marion Cotillard parle l'anglais avec l'accent polonais - elle le fait plutôt bien, mais au prix d'efforts un peu visibles dans son jeu, comme souvent.

Beau gosse, sérieusement?

Il me semble aussi que l'écriture est beaucoup moins réussie qu'habituellement : la scène-clé est complètement ratée, elle ne fonctionne tout simplement pas (le jeu un peu outré, façon cinéma muet, de Marion Cotillard n'arrange pas les choses non plus), et elle repose sur un acte vraiment stupide d'un des personnages.

Comme d'habitude, Joaquin Phoenix parvient à élever tout ça grâce à l'intensité de son jeu, surtout sur la fin, à amener une vibration, quelque chose qui pourrait ressembler à de l'émotion. Son personnage est aussi le plus intéressant, le plus ambigu. Mais trop tard : on a regardé le destin de ces personnages de loin, sans jamais s'attribuer leurs souffrances.
C'est le principal échec du film, qui n'élève le niveau que lors d'un superbe dernier plan.

Déception, donc.

Detective Dee 2, Tsui Hark, 2014

Les vrais héros s'habillent en noir, évitant ainsi les auréoles sous les bras.

Découvrir Tsui Hark en 2014, c'est à la fois un grand plaisir et des regrets de ne pas l'avoir découvert plus jeune, à un âge où ces récits héroïques de rivalité amicale et de romances impossibles, ces chorégraphies de combats m'auraient sûrement encore plus emporté.

Quoi qu'il en soit, j'ai pris un plaisir immense devant ce film-monstre, ce dragon des mers surpuissant mais léger et agile. C'est l'enjeu du film de Tsui Hark : opposer la pesanteur (une mer déchaînée, un immense monstre) à la légèreté virevoltante de ses personnages (qui tournoient sur eux-mêmes en faisant des saltos dès qu'ils vont acheter le pain).
La légèreté de ton est de mise aussi, et le scénario facétieux réserve quelques bonnes surprises (le thé "langue d'oiseau" comme élément important de l'intrigue... Et un remède amusant). L'humour de gamin qui ponctue le film, jamais référentiel, jamais ironque, permet de belles respirations.
C'est ce qui distingue ce blockbuster-là (car c'en est un, il suffit de regarder le très long générique de fin, ponctué de blagues) de l'ordinaire hollywoodien, lourdaud et trop sérieux (Snyder), ou au contraire jouant tellement au malin qu'il désamorce toute émotion (Whedon)

'Faut que j'aille... ACHETER DES CLOPES!

Sur le fond, le film assume un classicisme assez strict : une rivalité/amitié entre deux héros, une romance impossible, un sidekick sympa, etc... Mais le respect qu'a Tsui Hark pour ces personnages (un peu archétypaux) les rend attachants.
Et surtout, cette mécanique narrative, qui pourrait, trop visible, nous détacher de cette histoire, est complètement mise en retrait par la mise en scène survoltée. Tsui Hark décide d'utiliser le numérique pour laisser libre cours à son imagination débridée, notamment dans le montage, multipliant les prouesses pour maintenir le spectateur captivé.
On pense aussi parfois au jeu video, notamment lorsque les éléments de la réflexion de Detective Dee viennent se superposer à ce qu'il voit. 
Quant à la 3D, Tsui Hark décide d'en déchaîner son usage, en assaillant le spectateur de projectiles, en utilisant beaucoup de travelling vers ou depuis la profondeur du plan, et en filmant beaucoup l'eau, terrain de jeu idéal pour la 3D.

C'est peut-être là la recette qui fait fonctionner ce blockbuster-là : une histoire de conte de fées, classique et héroïque contée par une mise en scène utilisant sans limite les effets et technologies modernes. Mais surtout : un humour de gamin.

Black Coal, Diao Yi Nan, 2014


Le film de Diao Yi Nan est un de ces polars qui créent un univers avec sa propre ambiance. Un univers endormi ou mort, seulement secoué épisodiquement de brusques pétarades, avant à nouveau de se rendormir.
Evidemment, le choix d'une ville enneigée est idéal pour créer cette ambiance cotonneuse, embrumée. Le cinéaste en joue de superbe manière, et notamment des contrastes de chaleur, les intérieurs sont souvent voilés par la vapeur, la buée sur les vitres. Il y a aussi cette étreinte dont la chaleur semble faire se sublimer la neige.

L'autre élément qui me paraît important dans la création de cette ambiance est la lumière. Le film en joue beaucoup et souvent au détriment du réalisme, avec souvent en arrière-plan dans la ville des lumières rouges étranges. Même les jeux de lumières plus vifs (la façade fluo d'un bar, ou les feux d'artifices), sont rendus assez blafards et éteints par la photographie.

La plupart des personnages sont des fantômes(le personnage féminin emploie le terme "mort-vivant"); des fantômes qui tournent en rond (la séquence de la patinoire, mais aussi cette ellipse sous forme de volte à la sortie d'un tunnel), et qui se suivent (qu'il s'agisse d'une filature dans le cadre de l'enquête ou de la fascination pour une femme)


Il est plaisant de voir que pour le cinéaste, l'envie de créer cette ambiance, de créer de belles séquences de cinéma, prime sur l'intrigue. Quitte à parfois perdre le spectateur dans le fil de son récit, Black Coal est un film à la beauté plastique très cohérente, et plein de très beaux moments de cinéma.


Sunhi, Hong Sang Soo, 2014


Joli film automnal, Sunhi est une épure de mise en scène : les longs plan-séquence fixes se succèdent. Ce parti-pris donne toute son importance au jeu des acteurs, et le spectateur se surprend parfois à guetter les moindres détails de jeu, les gros plans étant inexistants. A ce petit jeu s'ajoute aussi un caractère ludique très prononcé du film, jouant sur les répétitions (verbales mais aussi de situation). Le ton du film est donc léger et amusant, alors même que les personnages qui le peuplent paraissent tout très tristes, ou du moins, en crise. Le film parvient toujours à nous en amuser, comme avec ce personnage de dépressif qui refuse de recevoir chez lui...


Le jeu des répétitions (apparemment, marque de fabrique de Hong Sang Soo) est loin d'être gratuit. Il est d'abord bienvenu pour amener à sourire, mais il est aussi parfaitement adéquat pour traiter du thème de la connaissance de soi (et des autres). La suite de qualités de Sunhi, écrite dans une lettre de recommandation bâclée par son professeur, revient en leitmotiv, répétée mécaniquement par les personnages qui se la transmettent, séquence finale très drôle mais d'une grande tristesse, qui fait que l'on sort de ce tétraèdre amoureux  et un peu mélancolique... Une humeur automnale en somme.