La Guerre des Mondes, Steven Spielberg, 2005


Par une étrange coïncidence (promis), j'ai regardé ce film hier et j'écris cet article un 11 septembre. Or, en le revoyant je suis frappé par l'ancrage fort de ce film dans l'après 11 septembre. "On pourrait dire ça de n'importe quel film catastrophe sorti après 2001", me rétorquerez-vous, et vous aurez peut-être raison. Lorsqu'on regarde ce film pour la première fois, l'ampleur écrasante du projet et sa mise en scène impressionnante ont vite fait de tout emporter et on pourrait en rester là. Néanmoins, en le revoyant, on peut essayer de chercher (quitte à aller trop loin! j'aime ça) ce que Spielberg parvient à faire passer, à la marge, sans sacrifier au grand spectacle de son blockbuster imposant (quitte à tomber dans ce qui reste son péché mignon : une fin un peu longuette accumulant les péripéties un peu lourdement).

L'autre chose qui frappe, c'est le binôme complémentaire qu'il forme avec une autre grande oeuvre de Spielberg, Rencontres du 3ème type. L'occasion de constater le pessimisme qui a contaminé entre-temps l'oeuvre de Spielberg (visible aussi dans Minority Report). Il est frappant de constater que les deux films utilisent des motifs communs pour créer une émotion radicalement opposée. Mais j'y reviendrai, comme dirait presque mon ami Terminator. Ouais, c'est un pote.

L'après 11 septembre

Tout d'abord il y a cette sidérante scène d'attaque qui arrive assez rapidement dans le film, sa soudaineté et son caractère inexplicable et inédit. Qu'est-ce qui attaque, qui attaque, pourquoi? Grâce à la brillante mise en scène de Spielberg, à hauteur d'homme, lors de cette attaque on constatera aussi que les personnages sont à la fois fascinés et effrayés, ils ne peuvent quitter des yeux ce qu'ils sont en train de voir, malgré la peur bien réelle. Cet effet de sidération face à une catastrophe, personnellement, me renvoie directement aux émotions contradictoires qui ont frappé les gens qui ont vu pour la première fois les images de l'attentat du 11 Septembre.

Et ce Tom Cruise, hébété, couvert de cendres?

J'en arrive à une autre scène, celle où une journaliste, dans son van, montre au héros les images tournées lors d'une autre attaque. Son excitation devant les images de destruction m'a immédiatement renvoyé à celle, bien réelle, d'un Pujadas ne cachant pas son excitation en découvrant les images du 9-11("Ouah! Génial", s'exclame-t-il). Mais surtout il me semble que Spielberg avec cette scène, se montre conscient du bouleversement qui s'est produit ce jour-là dans notre manière d'appréhender les images. Le choc entre l'image-fiction et l'image-reportage, l'ultra-spectaculaire du réel, et pour certains l'impossibilité d'y voir autre chose qu'une image (ce qui semble être le cas pour Pujadas, il ne semble pas réaliser ce qu'il voit, ne peut considérer l'image autrement que comme du show).

Rapidement, quitte à passer pour un fou, j'évoquerais bien cette scène où un tentacule au bout duquel se trouve un œil-caméra parcourt la maison où se sont réfugiés le héros et sa fille. Cet œil, mouvant, entrant dans une maison et en scrutant les moindres recoins m'a rappelé les araignées-robots qui pénétraient l'intimité des gens dans la terrible société décrite par Spielberg dans Minortity Report. Pour moi (et c'est là que je passe pour un dingo), cet œil qui pénètre les foyers, on peut le voir comme une représentation du Patriot Act instauré en octobre 2011.




Enfin, la plus brillante séquence du film, la plus émouvante, c'est celle ou le héros ne peut empêcher son fils, assoiffé de vengeance, de partir avec les militaires pour une riposte irréfléchie. Relativement tôt après les événements, Spielberg a déjà une vision plutôt lucide de la réaction américaine à cet événement, à son caractère irraisonné. Scène magnifique, qui garde sa cohérence que l'on cherche à y percevoir ce sous-texte ou pas : le déséquilibre des forces (quelques jeeps montant à l'assaut d'un immense monstre de métal protégé par un bouclier) permet d'ancrer la scène dans la cohérence d'un scénario catastrophe classique, le père essayant juste de sauver son fils.

Cette réaction primaire de riposte, la soif de vengeance d'un pays, sera aussi représentée sous les traits de Tim Robbins, présenté comme un fou dangereux. J'y reviendrai plus tard.

L'anti - "Rencontres"

Evidemment, d'un point de vue scénaristique, l'opposition entre "Rencontres du 3ème type" et celui-ci est suffisamment éloquente : les aliens gentils, avec qui il s'agit de créer un contact dans le premier, deviennent des saloperies pas possibles qui ont prévu depuis des millions d'années de nous dérouiller la gueule, et qui s'y emploient avec zèle et méthode.

La lumière et le son

 
  Le contrejour

Il est intéressant de voir que les deux films partagent le même excès de plans à contre-jour, de cette lumière aveuglante qui vient du ciel, qui nous dépasse. Mais si dans "Rencontres", elle est plutôt attirante (quoiqu'un peu effrayante au début), ici elle devient proprement terrifiante, blafarde, dès la première scène d'attaque où elle passe à travers le fronton d'une église.
De même les superbes ovnis de Rencontres sont des sources de lumière bleutée plutôt jolie, là où les tripodes sont autant de lampes torches cherchant leurs cibles dans l'obscurité d'un ciel noir (attention, cette phrase paraît jolie comme ça, mais elle ne veut pas dire grand chose. Bon, je la laisse).


Quant au son, il y en un de commun. Un son très grave, comme une corne de brume ou un cor. Dans "Rencontres", il ne se faisait entendre qu'une fois, lors du premier contact musical, détruisant toutes les vitres du périmètre, puis le spectateur comprenait que cette fausse note n'était qu'une question de réglage, et la "discussion" musicale pouvait reprendre. Ici, ce son effrayant retentit plusieurs fois et annonce le pire, il est plus métallique et froid. Et il n'est pas du tout le fruit d'un malentendu!

L'humain

De ce point de vue, "Rencontres" était un pur produit du cinéma américain des années 70 : l'humain, l'individu y luttait contre une institution qui masquait la vérité. Le film était traversé par le thème de la communication, ses personnages faisaient tout pour essayer d'aller vers l'autre, de le comprendre, de décrypter des signes.
Les personnages de Rencontres étaient animés par un but qu'ils ne comprenaient pas. Il s'agissait ensuite de converger vers un même lieu.

Dans la guerre des mondes au contraire, une partie de la tension vient de l'absence d'objectif. Contrairement à la plupart des films catastrophes, il n'y a pas d'endroit sûr à atteindre, les personnages fuient sans espoir véritable, ce qui renforce l'absolue noirceur du film. 



D'autre part, l'être humain a rarement été dépeint de manière aussi négative dans un film de Spielberg. Dans une scène horrible, les humains sont assimilés à des zombies essayant de pénétrer de force dans la voiture du héros. Une vision que l'on retrouvera dans un des terribles cauchemars de Curtis dans le très beau Take Shelter. 
Autre manifestation de cette humanité flippante, le personnage de Tim Robbins, fou enfermé dans sa cave, le shotgun à la main, est un symbole d'américain blessé, psychotique et belliqueux, un ennemi intérieur auquel le héros devra se confronter.

Avec sa happy-end un peu forcée (concession aux studios et respect de l'oeuvre de Wells...et Welles), on pourrait se méprendre, mais l'impression qui reste après le visionnage, c'est celle d'un film d'une noirceur hallucinante, c'est peut-être le plus politique des films de Spielberg. Il restera à mon avis non seulement comme un grand film tétanisant, mais comme un symbole de l'état d'esprit américain au début du XXIème siècle.

Quelques liens 

La lumière dans "Rencontres du 3ème type" https://jeancharpentier.wordpress.com/2012/03/09/

Pujadas et le 11/09 

11 commentaires :

  1. Parallèle intéressant.
    Sur "la magie blanche du cinéma et la magie noire du terrorisme", une lecture recommandée :
    http://www.egs.edu/faculty/jean-baudrillard/articles/lesprit-du-terrorisme/
    Le Nichols s'achève où débute le Spielberg...
    http://lemiroirdesfantomes.blogspot.fr/2014/07/take-shelter-un-prophete.html?view=magazine

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    1. Pffff.... Il y a pire que les pubs.
      Ce sont les auto-pubs.

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  2. Merci pour le lien!

    Oui j'avais déjà lu votre article sur Take Shelter, très intéressant aussi... Quelle beauté ce film, ce qui m'y touche le plus c'est ce trajet d'un homme mutique qui apprend à communiquer.

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  3. Ce film, je ne l'ai pas lu immédiatement (et apparemment contrairement à tout le monde) comme le film trauma post 11/09 par excellence. D'abord parce que je n'ai cessé d'avoir en tête Signes de Shyamalan en le regardant (les deux films ont à dire exactement la même chose sur la cellule familiale et c'est troublant ; enfermement, protection, absence de mère, interrogations d'un père démuni, tous les thèmes sont à l'identique). Ensuite parce que j'ai été fasciné par le spectacle où rarement les images crées (depuis Rencontres du 3e type) ne m'avaient à ce point marqué.

    Ceci dit, sans avoir beaucoup lu sur le sujet non plus depuis, et en lisant ton insistance sur la réaction du "spectateur" / Cruise face aux images de destruction, le sens à donner à la multiplication des plans jouant avec les reflets me paraît plus maintenant clair.

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    1. C'est vrai, c'est un des motifs récurrents que je n'ai pas traité. Il y en a un autre qui revient très souvent dans le film ( un personnage vu à travers un trou dans une vitre ) qui revient à plusieurs reprises aussi dans le film sans que je ne sache trop qu'en faire...
      Quant à Shyamalan, cette Guerre des Mondes me paraît plus proche dans le ton de Phénomènes (un peu raté MAIS cette scène terrible où des gens barricadés chez eux tirent à vue sur un enfant). Mais c'est vrai que sur ce thème de la famille Spielou et Shy (c'est des potes à moi) sont souvent assez proches.

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    2. C'est vrai aussi que dans Signes les aliens était pendant une grande partie du film uniquement visible à travers des reflets ( y compris sur l'écran de télé).

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    3. "un personnage vu à travers un trou dans une vitre ", je l'ai noté et y trouve une explication très simple, la valorisation de l'homme, de l'enfant ou du père ; je te laisse faire un tour sur nos pages pour le reste.

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  4. Bien entendu qu'il s'agit d'un film sur le 11 sept, il audrait être aveugle pour ne pas s'en rendre compte !

    Mais c'est aussi un film sur l'éclatement de la bulle familiale, thème que l'on retrouve tout au long de l'oeuvre de tonton Spielberg (son père n'ayant pas été vraiment présent lors de son enfance) et c'est également un film qui fait de nombreuses références à la Shoah. Bah oui, comment ne pas y penser en voyent des gens partir en cendre, en voyant passer ce train enflammé annonciateur d'un holocauste et en regardant tomber ces vêtements du ciel, seuls vestiges d'une espèce qu'on a voulu sciemment éradiquer de la surface de la planète ?

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    1. Ben, je devais être aveugle la première fois que je l'ai vu alors!

      Les références à la Shoah me paraissaient plus évidentes, pas seulement visuelles, mais aussi le caractère froid et méthodique de cette extermination.

      En tout cas c'est un film assez passionnant.

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    2. C'est quand même un drôle de mélange le 11 septembre et la Shoah.

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    3. De quelle "espèce" parlez-vous, Stif ?
      Si vous désignez les juifs par ce mot, permettez-moi de rappeler qu'on parle d'espèce humaine, mais certainement pas d'espèce juive.
      "Peuple" ou "population" aurait, je crois, mieux convenu.
      J'entends bien le sens de votre message généreux, mais prenez garde aux mots. Ils sont importants.

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