Rosemary's Baby, Roman Polanski, 1968

Bercez-le!

Lorsque j'ai revu récemment le superbe Rosemary's Baby, ce qui m'a le plus effrayé c'est sa manière subtile et terrible d'aborder la puissance de la manipulation, du conditionnement. Non seulement le scénario décortique (très habilement) les différentes techniques qu'utilisent les sectes pour isoler leurs cibles et leur faire perdre tout libre arbitre, mais Polanski parvient à le mettre en scène superbement, notamment dans la dernière séquence du film.

Dans cette scène, Castevet (le "gourou"), tente de faire accepter à Rosemary le rôle qu'il a choisi pour elle. Il commence par bercer doucement le "bébé", puis parvient à faire poser sa main à Rosemary sur le berceau. Rosemary berce alors le bébé de manière passive, elle suit le mouvement plus qu'elle ne l'imprime elle-même. Puis il lâche le berceau et c'est alors Rosemary qui berce le bébé seule. Elle a accepté son sort. 
C'est le combat permanent du film : faire céder la volonté de Rosemary, la contrôler.

Plus que l'aspect fantastique du film, qui apparaît même plus grotesque que véritablement effrayant, il semble que ce qui effraie/intéresse Polanski n'est pas l'oeuvre du démon mais des êtres humains : comment un couple de petits vieux peut réussir à contrôler la vie d'un couple de jeunes gens en bonne santé? 

Ce faux-semblant, où ce qui paraît rassurant (un couple de petits vieux) devient effrayant et où ce qui paraît effrayant (le diable!) est souvent finalement assez grotesque, me paraît un point crucial du film. Ces différents visages que peut prendre le mal, voilà ce qui me semble le plus intéresser Polanski.

Qui l'eût cru? Le scrabble sert en fait à quelque chose.

Plus tôt dans le film, une scène brillante nous montre Rosemary en train d'essayer de résoudre un anagramme. Elle utilise un scrabble (idée de mise en scène assez géniale d'ailleurs). Les mots les plus effrayants et plus ou moins issus de l'imaginaire fantastique se succèdent au fur et à mesure que Rosemary essaie de résoudre l'énigme : witches, dead, terror, evil, bleeds...
Au final, bien plus terrible sera la solution de cette énigme : un simple nom, qui provoque immédiatement le frisson.

Faire un grand film d'horreur c'est aussi poser des questions sur la peur elle-même, et sur le mal. Polanski l'avait compris, et ce n'est qu'un des nombreux axes de lecture de ce film passionnant.



6 commentaires :

  1. Je vous conseille le vénéneux "La Septième Victime" de Robson (1943), source officieuse du Polanski, grand petit film sur la solitude et le désespoir métaphysiques des métropoles inhumaines...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est noté, merci pour le conseil, et pour tous ces commentaires!

      Supprimer
    2. Starman est un des rares Carpenter que je n'ai pas vus, mais ça ne saurait tarder! Apparemment Jeff Nichols prépare quelque chose d'approchant pour son prochain film.

      Supprimer
    3. Sur le très réussi "Take Shelter", cf. notre blog - et merci pour l'info !

      Supprimer
    4. Plutôt intéressante, la "Septième victime", en effet. Je regrette juste que... le réalisateur en soit Mark Robson.
      Dans cette vague ésotérico-fantastico-fauchée de la production Val Lewton, d'autres réalisateurs (au hasard: Tourneur) ont tiré leur épingle du jeu de façon bien plus subtile ou magistrale.
      On rêve à ce qu'aurait été cette "7ème Victime" avec autre chose qu'un "metteur en boîte" aux commandes. Et l'on se dit que c'est un peu dommage quand même... Le matériau était riche.
      Même si le résultat reste honorable dans sa facture, je pense néanmoins que l'aspect "vénéneux" qui subsiste est essentiellement dû au bonhomme Val Lewton.
      Avec un réalisateur inspiré aux commandes, le petit film eût été grand.
      "Inspiration officieuse" pour Polanski, dites-vous ? Est-ce une hypothèse personnelle ou bien une déclaration de Polanski ?

      Supprimer
    5. J'avais failli soulever le lièvre de l'adaptation, précisément...!
      En effet, tout est déjà dans le bouquin d'Ira Levin (qui a eu moins de chance avec les adaptations de sa "Couronne de cuivre" qui, soit dit en passant fait terriblement penser à "Une Tragédie américaine" de Dreiser...) Bref, il reste quand même à l'immense crédit de Polanski de n'avoir, en effet, pas mis d'image sur le fameux baby... Coup de génie qui, bien évidemment, ne peut pas se trouver dans le livre.
      Pour en revenir à Robson, il a quand même tout à son honneur "Plus dure sera la chute" qui est un fort beau film. Là aussi, sans doute, un film "de studio" et "d'acteur", néanmoins une belle réussite tout de même. A mon avis plus accompli que "Nous avons gagné ce soir" de Wise , autre ex-faiseur de l'écurie Val Lewton.
      Merci pour le lien sur votre blog.

      Supprimer

Pour laisser un commentaire sans s'inscrire nulle part, choisissez Nom/URL dans la liste déroulante.